Interview | Qualité et sécurité des soins : une approche alternative

marius laurent

marius laurent

Ancien directeur médical – Centre hospitalier universitaire Tivoli – La Louvière – Belgique | Ancien attaché auprès du service qualité et sécurité du patient du ministère de la Santé – Bruxelles – Belgique | Consultant – Plateforme pour l’amélioration continue de la qualité des soins et de la sécurité des patients (PAQS) – Rue de Cent Pieds 99 – B7133 Buvrinnes – Belgique
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Céline Bruant. Praticien, gestionnaire, chercheur et enseignant, vous partagez votre vision de la sécurité en milieu de soins. À qui vous adressez-vous ?

Marius Laurent : À tous les professionnels qui sont concernés par ce sujet, et qui n’ont pas le temps de lire en anglais des livres de 200 pages afin d’y trouver peut-être les 5 pages qui éclaireront leur lanterne. La plupart des gens que j’ai rencontrés et qui parlent de problèmes de sécurité ont une vision fort scolaire des choses : il faut suivre Reason – son modèle de pathogène caché dans l’organisation parle aux soignants, blâmer le « système » plutôt que l’individu les rassure – mais cela méconnaît les limites qu’il mettait à exonérer l’opérateur de ses responsabilités propres. Il faut lire Reason avec l’œil du psychologue qu’il est, et remettre son opinion dans le contexte de son époque. Connaître l’histoire de la sécurité permet de comprendre les questions encore en suspens et de les mettre en perspective.

C.B. Outre ce rappel historique et théorique, le lecteur va-t-il trouver des méthodes à appliquer concrètement ?

M.L. Il va trouver du familier, du classique dont il a toujours entendu parler, mais aussi des méthodes moins connues, même si elles sont utilisées ailleurs en Europe, aux Pays-Bas, en Belgique, en Écosse ou aux États-Unis. Mais il va surtout trouver leur critique. On lit un peu partout que la sécurité ne s’améliore pas, que même si on utilise telle ou telle méthode d’analyse, on ne réussit pas à diminuer le nombre d’événements indésirables dans les hôpitaux. Est-ce dû aux méthodes que nous utilisons ou est-ce dû aux faiblesses des initiatives que nous mettons en place pour corriger les choses ? C’est très difficile à dire. C’est pourquoi je m’attache à cette critique de ces méthodes et aux raisons pour lesquelles elles n’apportent pas les résultats espérés. Je crois qu’il importe de ne rejeter aucune méthode ni aucune théorie a priori, mais d’être armé pour faire son marché de manière éclairée en fonction du moment où on vit et du milieu où on travaille. Cela permet de se passer des consultants…

C.B. Que conseilleriez-vous aux personnes chargées de la sécurité et de la gestion des risques à l’hôpital ?

M.L. De ne pas travailler seul ! Et dans la mesure du possible de travailler avec des gens qui n’ont pas la même formation que vous : si vous êtes médecin ou infirmière, parlez avec des pharmaciens, des psychologues… Si ce n’est pas possible, créez ou rejoignez des cercles où vous pourrez parler périodiquement, entre gens qui n’ont ni la même formation ni les mêmes préoccupations immédiates, des problèmes que vous rencontrez. Il faut faire vivre l’imagination ! L’imagination meurt si l’on ne croise pas de contradicteurs. J’ai eu la chance de m’occuper de gestion de la sécurité dans un hôpital aussi bien avec des infirmières qu’avec des psychologues, des techniciens et des pharmaciens : c’était extrêmement constructif. Je leur dirais aussi de s’ouvrir aux usagers de l’hôpital, aux patients et à leurs proches : ils connaissent bien l’hôpital, mais ce n’est pas toujours le même que le vôtre.

C.B. En résumé ?

M.L. Les professionnels francophones de la sécurité à l’hôpital trouveront rassemblées dans ce livre à la fois l’histoire et les théories de la sécurité pour comprendre dans quel contexte ils exercent leur fonction, et les méthodes les plus usitées comme d’autres moins connues, auxquelles ils ne peuvent pour l’instant avoir accès qu’à travers de longues recherches sur internet ou des lectures difficiles en anglais. Mon vœu est qu’ils s’approprient cette culture afin que leur réflexion ne dépende pas de consultants auxquels ils pourraient être tentés de faire appel.

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