Edito | Vers une chirurgie plus humaine et collaborative : la révolution discrète de la RAC

Depuis quelques décennies, le monde de la chirurgie connaît une transformation aussi silencieuse que profonde. Jusqu’au début des années 2000, la prise en charge des patients reposait sur des protocoles rigides, où l’unique moment d’échange avec le patient se limitait à l’obtention de son consentement. L’essentiel des réflexions médicales et chirurgicales portait sur les aspects techniques, en négligeant les dimensions périphériques. Les professionnels intervenaient de manière cloisonnée, sans réelle coordination, générant des parcours complexes et chronophages.

Deux modèles ont émergé progressivement pour bouleverser ces pratiques : la chirurgie ambulatoire (CA) et la récupération améliorée en chirurgie (RAC). D’abord développée aux États-Unis, la CA s’est imposée en France, malgré des débuts timides, en misant sur une organisation optimisée pour réduire le temps d’hospitalisation. La RAC, quant à elle, vise à améliorer la récupération post-opératoire en intervenant sur toutes les phases du parcours chirurgical.

Bien que nées de dynamiques différentes, la CA et la RAC ont convergé autour d’un principe commun : replacer le patient et sa pathologie au cœur d’un processus de soins coordonné, impliquant l’ensemble des acteurs. Aujourd’hui, la distinction entre les deux approches tend à s’effacer au profit d’une logique plus globale d’optimisation des parcours interventionnels.1 Chaque patient suit un circuit adapté à sa situation, qu’il s’agisse d’un séjour très court ou plus long, selon le type d’intervention et les comorbidités. Dans cette perspective, la notion d’une « hospitalisation vertueuse » définie simplement par une durée inférieure à 12 heures perd de sa pertinence. Ce qui importe, c’est que le patient reste le temps utile à une prise en charge de qualité, ni plus, ni moins.

Mais alors, pourquoi l’optimisation des parcours et la RAC ne concernent-elles encore qu’une minorité de patients ? En exploitant les données du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), nous avons montré qu’en 2019, moins de 20% des parcours pour 13 actes chirurgicaux sélectionnés bénéficiaient de cette approche2. En 2023, ces chiffres ont certes doublé, mais restent très insuffisants au regard des bénéfices démontrés de cette méthode, qui devrait être accessible à tous les patients en France (données non publiées). Car les preuves sont désormais solides : l’optimisation des parcours permet non seulement une réduction significative de la morbidité et de la mortalité post-opératoires, mais également des coûts financiers3,4,5. Nous passons progressivement de la notion d’équipes d’experts au concept d’équipes expertes6.

Au-delà des aspects médicaux, une révolution plus discrète, mais tout aussi essentielle, est en marche : celle de la co-construction des parcours de soins entre professionnels et patients. L’optimisation des parcours interventionnels incarne cette nouvelle dynamique. Pensée pour limiter les complications et favoriser un retour rapide à l’autonomie, elle implique un changement de culture hospitalière. À l’approche purement technique s’ajoute désormais une dimension humaine, éducative et participative. L’article que nous présentons illustre cette vision renouvelée du soin7. En réunissant représentants d’usagers, anesthésistes-réanimateurs, qualiticiens et experts en méthodologie, le groupe de travail décrit a formulé des recommandations concrètes, transversales, indépendantes des spécialités chirurgicales. Mais au-delà des outils, c’est d’un véritable changement de paradigme qu’il s’agit. Cette approche n’est plus seulement une optimisation technique : elle devient un parcours anticipé, partagé, sécurisé. Le patient y est pleinement acteur, informé et accompagné.

Toutefois, de nombreux freins subsistent : coordination insuffisante, inégalités de ressources entre établissements, faible implication des médecins traitants, ou encore sous-exploitation des outils numériques. Et surtout, une question demeure : sommes-nous, en tant que soignants, prêts à redéfinir nos rôles pour intégrer les patients dans la gouvernance du soin ? Il est temps d’y répondre collectivement. Car la réussite de la RAC ne repose pas uniquement sur des protocoles : elle exige confiance, dialogue et adaptation aux réalités de chacun. Elle appelle à une nouvelle alliance thérapeutique, où expertise médicale et expérience vécue du patient se conjuguent. À l’heure où les politiques de santé cherchent à concilier qualité, sécurité et humanité, la co-construction des parcours chirurgicaux pourrait bien devenir une clé de transformation durable du système de santé.

En conclusion, la chirurgie moderne ne peut plus se concevoir sans une double révolution : d’un côté, l’optimisation rigoureuse des parcours interventionnels à travers des approches comme la chirurgie ambulatoire et la réhabilitation améliorée reposant sur des données factuelles ; de l’autre, une transformation plus subtile mais tout aussi fondamentale, celle de la relation entre soignants et patients. En conjuguant efficacité médicale, coordination interprofessionnelle et implication active du patient, ces démarches redéfinissent profondément les standards de qualité et d’humanité dans les soins. La réussite de cette évolution repose sur notre capacité collective à dépasser les logiques de silos, à adapter nos pratiques, et surtout à construire ensemble — professionnels et usagers — des parcours de soins à la fois personnalisés, sécurisés et respectueux de l’expérience de chacun. L’enjeu n’est plus seulement de faire mieux, mais de faire ensemble.

Notes :

1- Delaunay L, Slim K. It is time to merge enhanced recovery programs and ambulatory surgery. The American Surgeon. 2022;88(2):313-314. Doi : 10.1177/0003134821998660.
2- Delaunay L, Slim K, Briquet E, Joris J, Boudemaghe T, Léger L, Bizard F. Diffusion de la réhabilitation améliorée après chirurgie en France. Étude nationale à grande échelle, à partir des données du PMSI. Santé Publique. 2024;36:69-92.
3- Greco M, Capretti G, Beretta L, Gemma M, Pecorelli N, Braga M. Enhanced recovery program in colorectal surgery: a meta-analysis of randomized controlled trials. World J Surg. 2014;38:1531-1541.
4- Slim K, Boudemaghe T, Delaunay L, Léger L, Bizard F. Favorable effect of enhanced recovery programs on post-discharge mortality: a French nationwide study. Perioper Med (Lond). 2022 May 2;11:14.
5- Bizard F, Boudemaghe T, Delaunay L, Léger L, Slim K. Medico-economic impact of enhanced rehabilitation after surgery: an exhaustive, nation-wide claims study. MC Health Serv Res. 2021;14;21(1):1341.
6- Slim K. Réhabilitation améliorée après chirurgie. RAC : la comprendre et la mettre en œuvre. Paris: Elsevier Masson, 2018. 144 p.
7- Sfez M, Delaunay L. Récupération améliorée en chirurgie : co-construction du parcours de soin entre professionnels et patients. Risques & Qualité. 2025;22(2):73-78.