Edito | Évaluation et actualisation des compétences des professionnels de santé : et s’il était possible de simplifier ?

anne costa

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Directrice générale – Centre hospitalier universitaire de Poitiers – Poitiers – France | Présidente – Commission Qualité de la Conférence nationale des directeurs généraux de CHU
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pierre-joël tachoires

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Directeur de la qualité, de la gestion des risques et de l’expérience patient – CHU de Saint-Etienne – Saint-Etienne – France | Commission Qualité de la Conférence nationale des directeurs généraux
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emilie prin-lombardo

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Directrice amélioration continue qualité sécurité & partenariat usagers – CHU de Montpellier – Montpellier – France | Commission Qualité de la Conférence nationale des directeurs généraux de CHU
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jean petit

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Conseiller médical – CHU de Poitiers – Poitiers – France | Coordonnateur – Commission Qualité de la Conférence nationale des directeurs généraux de CHU
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La compétence des professionnels de santé (savoir, savoir-faire, individuellement et en équipe) est une dimension essentielle de la qualité et de la sécurité des soins. Son évaluation et son amélioration régulière, au fil des connaissances nouvelles et des modifications du système de santé, sont indissociables des démarches transversales et institutionnelles mises en œuvre avec succès dès la fin des années quatre-vingt-dix (certification, indicateurs de processus…).

En France, trois démarches différentes ont été définies pour assurer une garantie de compétence chez les professionnels de santé après leur formation initiale : l’accréditation des médecins et des équipes médicales exerçant des activités « à risque » depuis 2006 [1,2], le développement professionnel continu institué en 2009 puis modifié en 2016 [3,4], et depuis janvier 2023, la certification périodique des professionnels de santé [5]. Actuellement, aucune de ces démarches n’est réellement satisfaisante d’un point de vue opérationnel.

À l’heure où les pouvoirs publics veulent promouvoir la simplification administrative, nous plaidons pour une réforme limitée mais ambitieuse fondée sur une procédure unique applicable et opposable à toutes les catégories de professionnels de santé. Cette proposition n’a pas pour objectif de stigmatiser les difficultés rencontrées par les institutions existantes ni les limites de leurs démarches, dont les acquis pourraient être, au contraire, valorisés.

Une démarche unique, pourquoi et comment ?

L’exercice professionnel, dans les établissements de santé et dans les établissements et structures sociales et médico-sociales comme « en ville » n’est plus solitaire. C’est une affaire d’équipe, et même d’équipes, au service du patient ou de la personne accompagnée dans son parcours. Limiter telle ou telle démarche aux professions « à ordre » ou aux médecins exerçant une activité « à risque » [sur la base de la sinistralité du début des années 2000] n’est pas pertinent.

  • Lorsqu’ils existent, les ordres professionnels doivent évidemment conserver un rôle essentiel d’incitation et d’accompagnement.
  • De même les organismes agréés par la Haute Autorité de santé (HAS) pour l’accréditation des spécialités à risque ont fait la preuve de leur efficacité. L’accréditation en équipe devrait devenir la règle, chaque fois que l’exercice médical n’est pas strictement individuel. L’évolution de l’accréditation vers une procédure pluridisciplinaire (médicale) mais surtout pluriprofessionnelle doit être rapidement achevée, les professions paramédicales devant être de droit éligibles à l’accréditation. La liste des spécialités concernées et domaines de prise en charge devrait être élargie. Une évolution des missions et du financement des organismes agréés est nécessaire en conséquence.

La compétence des professionnels de santé comporte plusieurs dimensions qui ont été clairement identifiées dans les textes relatifs à la certification périodique : l’actualisation des connaissances, l’évaluation et amélioration continue des pratiques professionnelles, en particulier en ce qui concerne la sécurité des soins, la prise en compte des attentes et de l’expérience des patients et enfin une meilleure prise en charge de leur santé individuelle. Ces objectifs doivent être déclinés de manière individuelle, mais ils sont indissociables du collectif, notamment dans les établissements sanitaires et médico-sociaux. La HAS a fait évoluer la procédure d’accréditation des médecins et équipes médicales exerçant des activités à risques de sorte à satisfaire à l’exigence légale en couvrant toutes les dimensions de la certification périodique.

  • Pour la certification périodique, les référentiels élaborés après avis des Collèges nationaux professionnels et de la HAS [4] devraient intégrer à la fois des exigences professionnelles individuelles et des exigences relatives au travail en équipe. Ces exigences devraient être en nombre raisonnable et homogène entre spécialités/professions/activités, et stables dans le temps (3 à 6 ans).
  • Les actions de formation doivent être systématiquement labellisées Qualiopi, avec une exigence particulière sur l’évaluation des liens et conflits d’intérêts et sur leur prévention.
  • Toutes les actions d’évaluation des pratiques professionnelles et de gestion des risques devraient être acceptées de principe, dès lors qu’elles correspondent aux méthodes définies par la HAS, aux démarches exigées dans le cadre de la procédure de certification des établissements de santé pour la qualité des soins ou à des programmes équivalents reconnus à l’étranger.

Le contrôle du respect des exigences de la procédure d’évaluation et d’amélioration des compétences des différentes catégories de professionnels de santé devrait être assuré de la manière la plus simple possible par une institution publique indépendante des organismes professionnels, et notamment des ordres. Pour les établissements de santé, les résultats de ce contrôle devraient être pris en compte dans la procédure de certification pour la qualité des soins par la HAS et être intégrés parmi les critères du régime des autorisations. Pour le médico-social, la même réflexion serait applicable pour l’évaluation externe. Enfin, pour les professionnels de santé, les résultats de ce contrôle devraient conditionner, de manière effective après mise en demeure, l’autorisation d’exercice. Ces résultats devraient faire l’objet d’une transparence totale (par exemple être accessibles sur Qualiscope®).

L’enregistrement des actions effectuées dans le cadre de la certification périodique entre actuellement dans les missions de l’Agence du numérique en santé. En cohérence avec nos propositions précédentes, ces missions devraient être élargies à l’enregistrement de comptes de toutes les catégories de professionnels de santé, à leur suivi, à l’enregistrement des éléments de preuve fournis, quelle qu’en soit la source, et à l’appui de leur contrôle.

Dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, l’évaluation et l’amélioration des compétences professionnelles s’inscrivent, au-delà des exigences individuelles, dans le cadre de la gestion globale de la qualité et des risques. Dans les premières années de l’accréditation des médecins, il a été observé que sa mise en œuvre pouvait court-circuiter l’approche systémique institutionnelle nécessaire à la prise en compte des causes profondes associées à la survenue des événements indésirables. Afin de prévenir cet écueil, il est impératif de prévoir d’emblée une coordination étroite entre, d’une part les démarches institutionnelles conduites par la ou les directions en charge de la qualité, la gestion des risques et les relations avec les usagers en lien avec la commission médicale d’établissement (notamment avec le coordonnateur de la gestion des risques associés aux soins et les correspondants des vigilances sanitaires), et d’autre part les démarches d’amélioration des compétences conduites par les professionnels à titre individuel ou en équipe.

En conclusion, tous métiers confondus, l’adhésion des professionnels de santé aux procédures réglementées concernant leurs compétences individuelles et collectives reste limitée. La multiplicité des acteurs et les jeux de pouvoir ont conduit à la construction de démarches complexes et non coordonnées. Elles sont si peu compréhensibles par les professionnels qu’ils les ignorent et qu’ils les ignoreront tant qu’elles ne seront pas simplifiées et rendues cohérentes. Ce constat est dramatique : l’aviation et le nucléaire civils nous ont démontré que la vision mono professionnelle de la compétence était une vision dépassée, et surtout dangereuse.

Pour les membres du bureau de la commission Qualité de la Conférence nationale des directeurs généraux de CHU.

Référence

1- Loi No 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie (Chapitre V). JORF n° 0190 du 17 août 2004.

2- Décret 2006-909 du 21 juillet 2006 relatif à l’accréditation de la qualité de la pratique professionnelle des médecins et des équipes médicales exerçant en établissements de santé. JORF n°169 du 23 juillet 2006.

3- Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (Art. 114). JORF n° 0022 du 27 janvier 2016.

4- Décret n° 2016-942 du 8 juillet 2016 relatif à l’organisation du développement professionnel continu des professionnels de santé. JORF n° 0160 du 10 juillet 2016.

5- Ordonnance n° 2021-961 du 19 juillet 2021 relative à la certification périodique de certains professionnels de santé. JORF n°0167 du 21 juillet 2021.