Edito | Pertinence et performance : réconcilier organisation hospitalière, qualité des soins et impact environnemental

stéphane pardoux

stéphane pardoux

Directeur général – Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (Anap) – Paris – France
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Dans un contexte de tensions budgétaires durables, de pénurie de professionnels de santé et d’augmentation constante de la demande de soins, les établissements de santé doivent aujourd’hui repenser en profondeur leur organisation afin de conjuguer qualité des soins, soutenabilité économique et environnementale.

La performance hospitalière a longtemps été perçue sous le prisme unique de la réduction des coûts. Or, il est indispensable d’y associer une réflexion sur la pertinence des soins : la capacité à proposer la juste prise en charge, au bon moment et au bon endroit, et ce dans un contexte où près de 20 à 30% des actes médicaux réalisés sont considérés comme redondants ou inutiles, au détriment de la sûreté et de la qualité des soins et de la préservation des ressources à la fois humaines, financières et environnementales.

Le véritable enjeu aujourd’hui est ainsi de mieux allouer les ressources pour fluidifier les parcours patients et garantir une prise en charge qui soit non seulement efficiente sur le plan médical et économique, mais également soutenable sur le plan écologique.

La pertinence des soins apparaît alors comme un levier d’amélioration globale qui repose sur une réorganisation des pratiques permettant d’éviter la redondance des examens, de limiter les hospitalisations évitables et d’encourager des parcours de soins plus fluides et coordonnés au bénéfice des patients.

Plusieurs établissements de santé ont déjà lancé des revues régulières de la pertinence des actes médicaux, impliquant à la fois médecins, cadres de santé et gestionnaires hospitaliers. Ces initiatives visent à adapter les pratiques aux besoins réels des patients, en s’appuyant sur les recommandations issues des sociétés savantes et des agences sanitaires. En plus des économies générées, ces démarches sont à l’origine d’une nette amélioration de la qualité perçue des soins et d’une meilleure satisfaction des patients, qui bénéficient d’une prise en charge plus cohérente et adaptée.

Toutefois, la pertinence des soins ne doit plus uniquement être envisagée sous l’angle de l’acte médical. Elle doit être élargie à la notion de pertinence organisationnelle et territoriale. Il est ainsi essentiel de s’interroger sur la place de chaque établissement dans l’offre de soins de son territoire : son positionnement est-il adapté aux besoins locaux ? Son organisation interne est-elle cohérente avec l’évolution des pratiques et des attentes des patients ? La coopération avec les autres acteurs de santé est-elle suffisante pour assurer une prise en charge coordonnée et éviter les hospitalisations inutiles ?

Performance hospitalière et écologie : une équation indissociable

Alors que le fonctionnement des établissements de santé a des incidences nombreuses et variées sur l’environnement (rejets toxiques, utilisation de ressources naturelles, émissions de gaz à effet de serre etc.) et que le secteur de la santé représente 8% de l’empreinte carbone de la France, dont 38% des émissions sont attribuables aux établissements hospitaliers, la performance hospitalière doit impérativement s’inscrire dans une dynamique de sobriété et d’optimisation des ressources environnementales. L’hôpital du futur ne sera pas seulement plus performant sur le plan médical et économique, il devra aussi être moteur de la nécessaire transition écologique. En ce sens, l’intégration du concept d’éco-soins, ou soins écoresponsables, offre une perspective nouvelle pour concilier exigence de qualité et sobriété hospitalière. Il s’agit là de repenser la manière dont les soins sont prodigués en tenant compte de leur impact environnemental. Parmi les actions écologiques concrètes mises en œuvre dans plusieurs établissements, on observe en particulier :

  • Le remplacement progressif du matériel à usage unique par des dispositifs réutilisables. Dans les blocs du centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand, on a remplacé les sets avec badigeons et cupules plastiques par des pinces et des cupules métalliques dans le cadre de la réalisation du badigeon chirurgical préopératoire.
  • La réinjection dans le circuit de médicaments non utilisés (MNU). Au CHU de Besançon, grâce à la mise en place d’une nouvelle logistique reposant sur un surétiquetage, 600 000 euros supplémentaires de MNU ont été recyclés en 2019.
  • La suppression de gaz anesthésiques particulièrement polluants. Au CHU de Rouen, le desflurane, utilisé pour l’anesthésie générale, a été supprimé avec, à la clé, 950 tonnes équivalent CO2 et plus de 100 000 euros économisés en 2021.
  • L’intégration de critères environnementaux dans les décisions d’achats hospitaliers, notamment via l’adoption d’un schéma de promotion des achats publics socialement et économiquement responsables (Spaser), qui permet d’orienter les achats vers des solutions plus durables.
  • Le développement de la télémédecine et de la téléconsultation, afin d’éviter les déplacements inutiles des patients et de réduire l’empreinte carbone des parcours de soins.
  • L’optimisation de la gestion énergétique des bâtiments hospitaliers, en repensant les consommations de chauffage, d’éclairage et de climatisation, qui représentent une part importante de l’empreinte carbone des établissements de santé. Au centre hospitalier de Dieppe, on a réduit la consommation énergétique de la ventilation, du chauffage, du froid des blocs opératoires, en utilisant des solutions de « mise en veille » des centrales de traitement d’air des blocs opératoires (réduction de débit et modification des consignes de températures hors période d’activité) avec, à la clé, 100 000 euros d’économies en 2023 et 30 000 euros en 2024.

Ces initiatives montrent qu’une gestion hospitalière plus sobre ne se fait pas au détriment de la qualité des soins, bien au contraire. En limitant le gaspillage des ressources et en favorisant une approche plus ciblée sur les besoins des patients, les établissements améliorent simultanément leur efficience médicale, économique, ainsi que leur impact environnemental.

Pour que la pertinence des soins et la performance hospitalière s’inscrivent pleinement dans un schéma de transition, un changement de culture est ainsi nécessaire. Les établissements doivent intégrer ces dimensions dans leur feuille de route stratégique, en associant les professionnels de santé à cette évolution.

La question n’est plus seulement de savoir comment optimiser les ressources, mais bien comment inscrire durablement le système hospitalier dans une dynamique de responsabilité sociale et environnementale.