Notre système de santé n’a cessé d’évoluer avec la diminution de la durée moyenne de séjour et l’externalisation des prises en charge en ville, multipliant les interfaces ville-hôpital. Devant le vieillissement de la population et l’augmentation des pathologies chroniques, la médecine évolue vers une approche globale, impactant sur la multiplication des acteurs auprès du patient. Devant l’augmentation des interfaces ville-hôpital, il est devenu d’autant plus important de renforcer la coordination médico-psychosociale des suivis.
Par ailleurs, nous assistons à une structuration de la sécurité sanitaire depuis les années 1990, s’inspirant de secteurs d’activité complexes et à risques tels que l’activité nucléaire ou les transports aéronautiques. Ces derniers se sont appuyés sur des dispositifs de gestion de risques basés sur la culture positive de l’erreur, à partir de la déclaration, de l’analyse des évènements indésirables graves (EIG), et du retour d’expérience. C’est ce qu’illustrent différents travaux dès 2013 avec l’expérimentation de revues de mortalité et de morbidité (RMM) pluriprofessionnelles en ambulatoire ou au sein de réseaux de santé [1].
Au regard de ces évolutions, il devient nécessaire de réfléchir à une organisation qui permette de réduire le risque de rupture du parcours de soins du patient, avec une approche transversale et pluridisciplinaire. C’est dans ce contexte que le réseau de santé périnatal parisien (RSPP)1 s’est engagé dans la mise en place des RMM « parcours ville-hôpital », en partenariat avec les professionnels membres du réseau et les représentants d’usagers. Pour ce faire, la structure régionale d’appui à la qualité et la sécurité des prises en charge en Île-de-France (Staraqs) a été sollicitée pour son accompagnement méthodologique et son expertise 2.
L’objectif principal de cet article est d’effectuer un retour d’expérience d’une RMM « parcours ville-hôpital » au sein du RSPP, le but de celle-ci étant d’analyser les évènements indésirables associés aux soins (EIAS) relatifs aux parcours ville-hôpital des mères et des nouveau-nés pour mieux sécuriser leur prise en charge. L’objectif opérationnel est d’identifier, pour ce type de RMM, les points forts et de vigilance, les limites et enfin, la satisfaction des participants (professionnels et représentants d’usagers).
Population et méthode
Le projet concerne l’ensemble des professionnels adhérents au RSPP et exerçant sur le territoire parisien, tous secteurs confondus : établissements de santé, soins de ville, secteurs médicosocial et social [2].
Ce projet RMM « parcours ville-hôpital » a été accompagné par la Staraqs. Il a été conduit selon les principes de la méthode Plan Do Check Act (PDCA) de la Haute Autorité de santé (HAS) et les huit points clés de l’expérimentation HAS-Ceppraal [1,3,4,5]. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur :
- la mise en place d’une organisation avec un comité de pilotage (Copil) et une cellule opérationnelle ;
- la création de trois outils : une procédure RMM « parcours ville-hôpital », une fiche de signalement des EIAS/EIG, et une base de recueil de données.
L’évaluation de la satisfaction des professionnels et des représentants d’usagers s’est basée sur un questionnaire distribué aux participants à la fin de la RMM « parcours ville-hôpital » (Figure 1).
Résultats
La première RMM « parcours ville-hôpital » s’est déroulée le 16 mai 2017.
La population du projet
Sont potentiellement concernés par ces RMM 1 565 professionnels du RSPP : libéraux, hospitaliers, de la protection maternelle infantile, de centres de santé, de centres médicopsychologiques, de centres d’action médicosociale précoce, de centres sociaux, et d’associations (Annexe I).
L’organisation du projet RMM « parcours ville-hôpital » basée sur deux entités
Le Copil RMM « parcours ville-hôpital » est l’organe décisionnaire ayant pour mission la sélection des EIAS/EIG à analyser et le suivi des plans d’action dans une approche réseau. Il a été constitué via la sollicitation de professionnels ressources (comité scientifique du RSPP, département hospitalo-universitaire Risque et grossesse, etc.) et via un appel à candidature par e-mailing auprès des membres du RSPP. La majorité des professions, des modes d’exercice et des secteurs est représentée au sein de ce Copil. Il comprend 28 membres (Annexe II).
La cellule opérationnelle est l’organe organisationnel qui est en charge de préparer et d’animer les RMM (recueil et hiérarchisation des EIAS/EIG, logistique, mobilisation des acteurs, mise en place des plans d’action). Elle est pilotée par les coordinateurs salariés du RSPP (2 sages-femmes, 2 pédiatres, 1 psychomotricienne) ; y participent également des membres du Copil RMM, selon les thématiques et les professionnels concernés par le cas à analyser.
La création de trois outils
- Une procédure RMM « parcours ville-hôpital » a été rédigée à partir des procédures disponibles [1,6,7,8]. Elle comprend la définition des EIAS/EIG, le pilotage et les modalités pratiques de ces RMM (sélection du cas, préparation et déroulement de la RMM, suivi des actions, archivage).
- Une fiche de signalement des EIAS/EIG a été élaborée avec l’expertise de la Staraqs et mise en ligne sur le site internet du RSPP, afin d’identifier les EIAS/EIG repérés par les professionnels membres du RSPP [9,10].
- Une base de recueil de données (tableau Excel®) a été constituée, pour répondre à deux objectifs :
- d’une part, recenser les EIAS/EIG déclarés via les fiches de signalement, pour hiérarchiser les cas à analyser selon : leur criticité, leur niveau de maîtrise, et l’intérêt de la thématique en lien avec le parcours ville-hôpital [11] ;
- d’autre part, pour tracer les plans d’action validés au cours de la RMM et leur suivi par la cellule opérationnelle (pilotes, calendrier, indicateurs).
Les participants à la RMM « parcours ville-hôpital »
Le Copil RMM a fait le choix stratégique de limiter la RMM « parcours ville-hôpital » aux professionnels directement intéressés par le cas et aux membres de ce Copil, afin de favoriser un climat de confiance et de faciliter les échanges entre eux. Des experts médicaux y ont également été conviés pour apporter une plus-value scientifique à l’analyse du cas. Étaient présents 24 participants, dont 3 seulement avaient une activité de ville à temps plein (Annexe III). À noter que le professionnel prenant en charge en ville la patiente a participé à l’enquête mais n’a pas pu être présent à la RMM.
La méthode d’analyse
Pour analyser les évènements indésirables (EIAS, EIG), c’est la méthode Association of Litigation And Risk Management Extended (Alarme) qui a été retenue, au regard de son approche systémique et de son institutionnalisation au niveau national [12,13].
Le cas analysé en RMM « parcours ville-hôpital »
Il a été choisi dans la base de recueil de données par le Copil RMM, à partir d’un seuil de criticité et de la thématique ciblée sur l’articulation ville-hôpital. Il concernait un nouveau-né présentant un ictère néonatal sévère après une sortie précoce de maternité. Trois dysfonctionnements ont été identifiés et six plans d’action ont été validés (Tableau I).
L’évaluation de la 1re RMM « parcours ville-hôpital », effectuée à l’aide d’un questionnaire, a montré une réelle satisfaction des participants : 90 % (n = 18/20) d’entre eux souhaitent poursuivre la démarche (Figure 2). Quatre participants n’ont pas été interrogés via ce questionnaire car ils étaient organisateurs de la RMM (équipes de la Staraqs et du RSPP).
Discussion
Bénéficiant d’un cadre structuré, la 1re RMM a su mobiliser l’ensemble des professionnels et des représentants d’usagers du RSPP. La thématique du cas analysé répondait à une demande des professionnels de ville et au développement de la culture sécurité au sein du réseau.
Points forts
Cette expérience a été globalement très positive. En matière de points forts, nous insistons sur la plus-value qu’apporte le réseau de santé dans le pilotage du projet. Créé en 2007 et fort de son antériorité, le RSPP a en effet su s’appuyer sur son « expertise réseau » : dans la mobilisation des professionnels et des représentants d’usagers ; dans la gestion de projets (coordination, outils) ; dans le décloisonnement des exercices avec l’existence de protocoles partagés ville-hôpital [6,7] ; et dans la mobilisation des experts, également membres du réseau. De même, la structuration du projet RMM, avec la création d’une cellule opérationnelle composée notamment des coordinateurs salariés du réseau, est un gage de pérennisation puisque ces derniers sont en charge de coordonner les RMM (recueil, préparation, logistique, traçabilité). Enfin, l’accompagnement méthodologique de la Staraqs a été apprécié, d’autant plus que le RSPP ne compte pas de gestionnaire de risques (expertise, structuration, écueils à éviter, formation, etc.).
Points de vigilance
Concernant les points de vigilance, nous retenons : le choix du cas ciblé sur les dysfonctionnements ville-hôpital afin de ne pas répéter une RMM intrahospitalière ; l’importance des phases de préparation des dossiers et la présence nécessaire de tous les acteurs concernés par le cas pour une analyse complète, comme le rapportent deux expérimentations RMM pluriprofessionnelles ambulatoires [1,6] ; l’exercice difficile de l’animateur des RMM, partagé entre le souci d’assurer bienveillance et expression de chacun, et la nécessité de canaliser le groupe afin de finaliser les plans d’action ; et l’importance du suivi des actions qui est une étape chronophage comme le rapportent certaines expérimentations. Deux éléments sont à souligner pour conduire au mieux les RMM : elles peuvent être réalisées « selon le bon vouloir de chacun et aucun suivi formalisé n’a été mis en place » [6] ; ou encore, par souci d’efficacité, « il faut avoir une ambition modeste concernant les actions d’amélioration si on vise l’applicabilité de la méthode » [1]. Ici, c’est à la cellule opérationnelle composée majoritairement de professionnels salariés, que revient la mission d’organiser les RMM et d’impulser, avec les professionnels, la mise en œuvre des plans d’action.
Leviers
Le principal levier que nous soulignons est la nécessité de créer un espace de confiance pour mobiliser et déculpabiliser les professionnels. Ce point s’est très vite imposé pour prendre en compte une éventuelle réticence des professionnels de ville notamment, parfois plus vulnérables ou moins sensibilisés à la gestion des risques. L’appartenance à l’entité réseau, le choix de limiter la participation des professionnels et l’approche systémique de la méthode Alarme ont été des éléments clés, comme en témoigne la qualité des échanges des participants (validité interne) [14].
Le portage d’un projet RMM « parcours ville-hôpital » par un réseau de santé, toutes spécialités confondues, peut être un gain de temps considérable et un facteur de réussite au regard des liens de confiance déjà tissés, de sa structuration, des outils construits (e-mailing, annuaire, référents) et des projets menés (projets ville-hôpital antérieurs). La création d’un Copil RMM a été également un moyen d’engager certains professionnels qui pourraient se sentir moins directement concernés par le projet RMM ou par la périnatalité (secteur social) ; et les représentants d’usagers, souvent très sollicités par ailleurs.
L’accompagnement d’une structure régionale d’appui peut être un réel soutien en matière d’expertise et de méthodologie, le projet RMM nécessitant une compétence en gestion des risques qui n’est pas toujours identifiée au sein des réseaux de santé. Quant à la spécialité « périnatalité », comme la « gériatrie », elle a intégré très tôt la notion de parcours ville-hôpital, par ses dimensions de soins, de prévention, de santé, d’éducation et d’externalisation des prises en charge. Au regard du virage ambulatoire et de la multiplication des acteurs autour du patient, d’autres spécialités pourront s’en inspirer (validité externe).
À noter quelques limites du projet, notamment en lien avec le faible recul sur celui-ci (une seule RMM « parcours ville-hôpital »), ce qui ne nous a pas permis d’apprécier l’impact des plans d’action sur les pratiques professionnelles. Une évaluation plus approfondie devra être menée sur le moyen-long terme : indicateurs, outils, réduction des risques, etc.
En matière de perspectives, afin de valoriser la participation des professionnels à ces RMM et de pérenniser la démarche, il pourrait être intéressant d’inscrire ces RMM dans le développement professionnel continu voire d’élargir l’accréditation, telle Gynerisk3, à d’autres professionnels (ici sages-femmes, médecins généralistes, etc.) [15,16].
Conclusion
La mise en place d’une RMM ville-hôpital semble être une méthode pertinente pour décloisonner les exercices professionnels dans une approche de « parcours du patient » et pour construire une culture de sécurité commune au sein d’un réseau de santé. Elle repose sur les coordonnateurs salariés du réseau qui en assurent l’organisation et la logistique, gage de pérennisation ; et sur l’engagement des professionnels adhérents à ce réseau. L’accompagnement méthodologique à la gestion des risques est un facteur de réussite, pour garantir une bonne acceptabilité de cette démarche et intégrer la culture non punitive de l’erreur, notamment pour les professionnels de ville et du secteur médicosocial. Si une étude complémentaire s’avère nécessaire pour évaluer l’impact des actions mises en place à partir des RMM « parcours ville-hôpital » sur l’amélioration des pratiques et sur la sécurité des prises en charge au sein du RSPP, l’organisation de ces RMM ouvre la voie à d’autres méthodes centrées sur le parcours de soins : patient traceur et analyse de processus.
Remerciements: Nous tenons à remercier l’ensemble des professionnels du RSPP et de la Staraqs pour leur soutien, leur implication et leur confiance témoignée dans ce projet novateur, et plus particulièrement : les membres du Copil RMM « parcours ville-hôpital », les membres de la cellule opérationnelle et les participants à la 1re RMM « parcours ville-hôpital ». Note 1- Pour en savoir plus sur cette structure : http://www.rspp.fr (Consulté le 13-04-2018). 2- Pour en savoir plus sur cette structure : http://www.staraqs.com (Consulté le 13-04-2018). 3- Pour en savoir plus sur cette accréditation : http://gynerisq.fr/ (Consulté le 16-04-2018).