Edito - Promouvoir la qualité de vie au travail dans les établissements de santé et médicosociaux : pourquoi si tard ?

véronique ghadi

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Chef de projet, Direction de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, Haute Autorité de santé (HAS), Saint-Denis
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jean petit

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Département attractivité et rayonnement, CHU, Toulouse
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Edito - Promouvoir la qualité de vie au travail dans les établissements de santé et médicosociaux : pourquoi si tard ?

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Article

Quelques décennies avant que ne soient identifiés les troubles psychosociaux, Charlie Chaplin stigmatisait la rudesse et le caractère dégradant de la nature et de l’organisation du travail issues des deux premières révolutions industrielles [1]. Vers les années mille-neuf-cent-soixante la modernisation, l’automation [2] puis les nouvelles technologies de la communication ont laissé espérer une amélioration du bien-être au travail. Hélas, vers la fin du xxe siècle, des vagues de suicides telles que celles survenues, par exemple, au Technocentre de Renault (2006-2007) et à France Télécom (2008-2009), sont venues rappeler que le lieu de travail peut être aussi un lieu de souffrance quand les transformations de l’activité conduisent davantage à isoler les professionnels qu’à soutenir les collectifs de travail.

Les établissements de santé n’ont pas échappé à ces évolutions systémiques qui sont venues réinterroger le sens de l’engagement au travail. Or cette question du sens est particulièrement centrale dans les métiers du soin tournés vers l’autre, d’où le fait que les professionnels de santé sont particulièrement exposés au burn-out. Ainsi, depuis quelques années, s’y développe également le désespoir professionnel dans sa forme la plus critique, le suicide sur le lieu de travail. De fait, le domaine de la santé n’a pas échappé à la complexification croissante des pratiques et des organisations. L’accélération des prises en charge, le développement de l’ambulatoire, la montée en puissance des questions économiques, le vieillissement de la population et l’accroissement des malades chroniques, le développement des démarches qualité, les aspirations des usagers à être acteurs de leur santé sont autant de facteurs qui ont imposé la pluridisciplinarité, de nouvelles organisations de travail, et un management souvent très directif. Des soignants qui se sentent acteurs de l’organisation de leur travail et qui peuvent contribuer à la définir s’investissent davantage [3]. En France, le rythme des réformes déployées pour tenter de maîtriser les dépenses de santé tout en garantissant l’accès aux soins et leur qualité a renforcé l’instabilité des conditions de travail et le mal-être des professionnels. Chacun se réjouira, bien sûr, des considérables progrès accomplis au bénéfice des citoyens patients. Mais, ainsi que le soulignent les organisations professionnelles, les conséquences sur la vie des soignants en ont parfois été très lourdes. Parce qu’elles éloignent encore plus le professionnel du contact humain qui l’enrichit, les évolutions techniques prévisibles à court terme – robotisation, intelligence artificielle, télémédecine – ne les atténueront probablement pas.

Promouvoir la qualité de vie au travail des professionnels de santé et médicosociaux est donc une urgence absolue. La Stratégie nationale de santé 2018-2022 en fait ainsi un axe prioritaire [4], dont les grandes lignes sont présentées dans ce numéro thématique. La qualité de vie au travail conditionne le maintien de la motivation et des compétences collectives des professionnels. De l’amélioration de la qualité de vie au travail dépend la qualité des soins, et comme le prouvent les travaux sur les hôpitaux magnétiques, en dépend aussi l’attractivité du système de santé et des établissements pour les professionnels d’aujourd’hui et ceux de demain. C’est donc aussi un enjeu de performance. Mais c’est, surtout, un enjeu majeur pour tous les patients actuels et futurs.

Face à ce sujet complexe, tous les contributeurs de ce numéro se sont efforcés d’utiliser les mots les plus simples, car ce sont les plus mobilisateurs. La dimension sociale du « développement durable » ou la « responsabilité sociétale et environnementale » des entreprises sont des approches qui impactent la qualité de vie au travail et qui ont fait leurs preuves dans l’industrie, voire dans certains établissements de santé, entre les mains des spécialistes des organisations et de la gestion des ressources humaines. Mais elles ne parlent pas, ou très marginalement, aux médecins et aux paramédicaux, voire les irritent. Ainsi, les travaux, les expérimentations et les programmes développés par la Haute Autorité de santé et l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, largement développés dans ce numéro, ont-ils tous comme caractéristique un périmètre défini et limité, au plus près du terrain.

Les travaux menés au CHRU et à l’université de Tours, au CHRU de Lille, au sein des clusters sociaux, l’expérience du centre de prélèvements du CHU Saint-Pierre à Bruxelles, et le modèle de Buurtzorg aux Pays-Bas qui suscite depuis peu l’émulation des soignants français, témoignent de l’importance de la participation des professionnels. Leur lecture fait apparaître, en filigrane, la nécessité de modifications très importantes dans la conduite du management des équipes. Ces changements managériaux, porteurs de nouvelles organisations valorisant et respectant l’humain et associant concrètement les patients à leur définition, constituent probablement la pierre d’achoppement de l’amélioration de la qualité de vie au travail des professionnels de santé et donc de l’amélioration de la qualité des soins, notamment dans les établissements de grande taille et du secteur public.

Il n’y a pas de qualité sans mesure et il n’y aura donc pas d’amélioration de la qualité de vie au travail sans mesure de celle-ci. De même que la Stratégie de transformation du système de santé prévoit la mise en place d’un « Observatoire national sur la qualité de vie au travail » [5], et que la Haute Autorité de santé a défini des exigences sur ce thème dans le cadre de la procédure de certification des établissements de santé, l’outil élaboré par le comité de coordination de l’évaluation clinique et de la qualité en Nouvelle-Aquitaine (Ccecqa) permet aux équipes soignantes et à leur management d’assurer la mobilisation et le suivi de la démarche.

La qualité de vie au travail doit ainsi devenir un enjeu stratégique à tous les niveaux du management, pour le bénéfice des professionnels, des patients ou résidents et plus largement de la société. Puissent les articles rassemblés dans ce numéro thématique contribuer à la mobilisation et la conduite des changements nécessaires.

Références

*1-Chaplin C. Les temps modernes [film version française – version originale américaine]. 1936. 86’00.

*2- Elgozy G. Automation et humanisme. Paris : Calmann-Lévy, « Liberté de l’esprit », 1968. 381 p.

*3-Bergeron H, Ceretti AM, Citrini M, et al. Lettre ouverte aux pouvoirs publics et aux personnels hospitaliers. Libération, 11 février 2018. Accessible à : http://www.liberation.fr/france/2018/02/11/lettre-ouverte-aux-pouvoirs-publics-et-aux-personnels-hospitaliers_1628977 (Consulté le 05-03-2018).

*4- Délégation à l’information et à la communication. Stratégie nationale de santé 2018-2022. Ministère des solidarités et de la santé. 53 p. Accessible à : http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dossier_sns_2017_vdef.pdf (Consulté le 19-02-2018).

*5- Ministère des Solidarités et de la Santé. Stratégie de transformation du système de santé, Dossier de presse, 13 février 2018. 16 p. Accessible à : http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dossier_de_presse_strattransformationsystemesante_13022018.pdf (Consulté le 26-02-2018).

Citation

Ghadi V, Petit J. Promouvoir la qualité de vie au travail dans les établissements de santé et médicosociaux : pourquoi si tard ? Risques & Qualité 2018; 1: 3-4.

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