« Rien d’audacieux n’existe sans la désobéissance à des règles. » – Jean Cocteau
La méthode procédurale est omniprésente dans le champ des soins de santé. Le temps consacré à la rédaction de procédures occupe le deuxième rang des tâches qu’accomplissent l’infirmière hygiéniste et le cinquième pour le médecin hygiéniste [1]. Une recherche rapide sur PubMed montre que l’association « procédure » et « soins de santé » ne pointe vers des références que depuis 1960 environ. Cette association s’élargit par exemple à l’hygiène hospitalière et industrielle dans les années quatre-vingt. Alors que l’implémentation des procédures dans la pratique professionnelle est clairement une activité pivot, on trouve peu de recommandations sur ce sujet avant la fin des années quatre-vingt-dix. Nous ne disposons que de peu de données critiques sur la manière dont le monde hospitalier rédige et met en place les procédures, si ce n’est que les gestionnaires de la qualité-sécurité sont aux commandes, et davantage encore les responsables de l’hygiène hospitalière. L’observation montre que la plupart de ces procédures s’appuient sur des notions théoriques discutées au sein d’équipes de soins. Si les formations de base et l’expérience de chacun jouent un rôle souvent prépondérant, l’evidence based medicine (EBM), ou médecine basée sur la preuve, est censée diriger l’orchestre. L’élaboration de la partie pratique repose le plus souvent sur la consultation de médecins ou plus souvent d’infirmiers. Ce premier jet fait l’objet de la critique de professionnels du terrain, mais la conception et la rédaction de la procédure sont rarement le produit d’un travail commun. La version définitive est en général soumise au comité ad hoc, ou au chef de service, qui fait éventuellement ses commentaires, et enfin à la validation des hiérarchies infirmière et médicale s’il s’agit de soins. Les procédures décrivent de manière linéaire les tâches telles qu’elles doivent être réalisées, étape par étape. Si des choix sont possibles en cours de route, leurs conditions sont définies et sont binaires, du type oui/non. Il existe des nuances dans la participation effective des acteurs de terrain à la rédaction des procédures selon les sujets traités et selon les hôpitaux mais, peu ou prou, les procédures sont l’œuvre d’experts, décrivent les choses comme elles doivent être faites et sont imposées après un processus de validation qui permet en principe la critique. Ce processus d’agrément des procédures implique également les hiérarchies, ce qui est un moyen de s’assurer de l’engagement des directions à les faire respecter. La diffusion des procédures varie d’hôpital à hôpital selon les moyens techniques disponibles (intranet, gestion documentaire… ou simple document rangé dans un classeur). Si la diffusion de la procédure est souvent contrôlée, son acceptation par le personnel et sa mise en pratique sont quant à elles très rarement mesurées : les transgressions sont relevées à l’occasion de problèmes ou d’incidents mais sont peu chiffrées.
Pourquoi des procédures ?
Les procédures sont une réponse qui nous paraît culturellement acceptée, adaptée à la complexité du monde dans lequel nous vivons : elles mettent un semblant d’ordre dans un environnement et dans des domaines qui, sans elles, dérouteraient le profane. Cette réponse est d’autant mieux reçue qu’elle s’inscrit dans le cadre de l’organisation traditionnelle du travail. Force est de constater que le bon vieux taylorisme imprègne toujours les esprits et qu’il structure encore bien des institutions. Rappelons que le taylorisme implique une décomposition des tâches en étapes structurées qui s’enchaînent. La conception de ce plan organisé est confiée à un « groupe dirigeant » et non aux exécutants de première ligne, jugés trop ignorants de l’ensemble de l’ouvrage pour pouvoir en imaginer les articulations. La description de ces étapes, qui se suivent linéairement ou offrent des choix obéissant à une logique binaire et des prescriptions qui les gèrent, forme un manuel de procédures qui convient bien à des tâches simples. Les procédures et surtout la manière dont les opérateurs les acceptent et s’y conforment font partie de ce qui définit la culture ou le climat de sécurité. Elles ne sont pas la seule issue possible à la complexité. Des procédures et des check-lists encadrent ainsi sévèrement le travail des pilotes de ligne. Le moindre imprévu trouve sa réponse dans un manuel riche et détaillé (à l’extrême ?). L’activité des contrôleurs aériens au contraire n’est guidée que par peu de procédures : tout leur entraînement et toute leur formation visent à les rendre capables de gérer des situations mêmes surprenantes au mieux en tenant compte des contraintes. Le souci des uns et des autres est de prévenir la dérive naturelle d’un système complexe vers une zone de moins grande sécurité. Vues de cette manière, les règles et les procédures remplissent deux fonctions : elles définissent les frontières et les limites de l’espace sûr des activités (safe operating zone), telles que les décrivent Rasmussen et Amalberti1, et elles déterminent ce qu’il faut faire pour rester dans cet espace de sécurité et éviter la dérive vers la zone de danger. Les procédures sont perçues comme des éléments qui garantissent la sécurité : gestion de la sécurité et établissement de procédures vont de pair. Rappelons que la gestion procédurale du temps de Taylor ne se préoccupe pas de sécurité, elle a été adoptée par les tenants de la qualité pour réduire les déchets de la production. Les procédures peuvent être rangées dans trois catégories : les définitions d’objectifs se limitent à définir ce qui doit être obtenu et ne s’attardent pas ou très peu sur les moyens à mettre en œuvre ; les règles procédurales définissent les moyens et les procédés à mettre en œuvre pour atteindre le but fixé, elles constituent un mode d’emploi décrivant les lignes générales que doivent suivre les opérateurs, qui gardent une certaine autonomie ; les règles d’action entrent dans le détail de la tâche à accomplir, guident pas à pas l’utilisateur, en suivant par exemple des embranchements logiques binaires du style « if… then… else… » (« si… alors… sinon… »). L’autonomie de l’opérateur est sévèrement limitée, voire prohibée et, chaque fois qu’il doit effectuer une tâche, il parcourt ces trois étapes. Ce qui est variable est le point où on le laisse libre de décider seul et de prendre ses propres responsabilités, au niveau du processus ou à celui des gestes [2]. Cet espace abandonné au libre arbitre de l’opérateur peut varier de zéro à l’infini.
L’inflation procédurale
La réponse à un accident est stéréotypée : accroître l’arsenal procédural, quitte à ajouter de la complexité. Dans les dix ans qui suivent l’accident majeur de Three Mile Island2, les dirigeants et les experts responsables de la conduite des sites nucléaires rédigent environ 500 procédures opérationnelles nouvelles, 600 procédures de test et autant de procédures de maintenance [3,4]. C’est souvent le besoin (l’obsession) de mesurer la sécurité qui induit l’inflation des procédures. Cette obsession naît essentiellement des exigences des organismes qui financent les soins et les hôpitaux. Le monde managérial moderne a du mal à imaginer qu’on puisse améliorer quelque chose que l’on ne peut mesurer. Le problème est que la sécurité ne s’évalue que très difficilement. Si on définit la sécurité comme une absence d’accident, sa mesure classique est dénombrement des accidents, ce qui est plus vite dit que fait dans le monde des soins. Nous avons décrit les inconvénients liés aux déclarations volontaires3, et les autres méthodes (trigger tool, revue de dossier…) sont lourdes et ne sont pas plus fiables. De plus, comme les accidents sont « rares » (même si pas assez), il faut parfois attendre longtemps pour en rencontrer un (les erreurs de transfusion ou les erreurs de côté en chirurgie par exemple). Dès lors, les comparaisons de petites structures entre elles sont difficiles, et l’indicateur de résultat est peu sensible et ne permet pas de suivre la performance dans le temps. De nombreuses organisations promeuvent l’ambition de « zéro événement indésirable », parfois comme un slogan qui ne décrirait qu’un but idéal, plus souvent avec un certain sérieux, considérant qu’il s’agit d’un objectif réaliste. S’il est atteignable, alors tout événement indésirable peut être une source de reproches. Les événements rares sont difficiles à évaluer et à comparer : des tests statistiques exigent généralement des échantillons de taille suffisante garantissant, pour un χ² par exemple, que chaque case de la table ait une valeur minimale. La difficulté de suivre des événements rares dans le temps et d’en tirer des conclusions valables est connue, mais les exigences statistiques sont souvent ignorées [5].
Faute d’indicateur de résultat, on se tourne vers des indicateurs de procédure, plus faciles à mesurer. On considère qu’un soin est réalisé de manière sûre s’il est effectué en respectant les règles qui le régissent. Parfois, ces règles existent et doivent simplement être colligées pour former un « care bundle » ou « bouquet de soins4 ». Le but est alors d’observer le respect de ce bouquet, aisé à suivre dans le temps, plutôt que l’événement que l’on cherche à éviter, une pneumopathie acquise au respirateur par exemple. Mais, souvent, ces règles n’existent pas ou n’ont pas la même légitimité devant l’EBM que celles de certains care bundles. Force est également de constater que règles et procédures font partie des outils qui favorisent les jeux de pouvoir et le contrôle d’un groupe par un autre. Un extrême consiste à créer des procédures dans le seul but de pouvoir mesurer leur application. C’est le cas typique de la certification (accréditation), même si elle prétend évaluer la qualité (davantage que la sécurité) dans le but de l’améliorer. L’accréditation est probablement un des indicateurs les plus épuisants à satisfaire et souvent le plus coûteux. Elle est imposée dans bien des pays (ne fût-ce que pour obtenir un financement ou des remboursements pour certaines catégories de soins). Ailleurs, elle devient un argument quasi commercial pour se démarquer d’hôpitaux voisins dans une logique concurrentielle pour séduire un patient qui fait son shopping (et le médecin qui le conseille5). Faut-il rappeler que la preuve que l’accréditation améliore le devenir médical des patients se fait toujours attendre [4,6] ? Les chiffres encourageants sont anciens et ne représentent plus forcément la situation actuelle, ils examinent plus volontiers le respect de procédures thérapeutiques « admises » que des indicateurs de résultat [7,8]. L’expérience des patients, quant à elle, semble moins positive dans les hôpitaux accrédités que dans ceux qui ne le sont pas, sans que leur pronostic soit positivement influencé de manière incontestable [9]. Est-ce à dire que tout est à jeter dans l’accréditation ? Certainement pas. Elle apporte un sentiment de stabilité et de sécurité au monde infirmier [10]. Elle a introduit des progrès technologiques significatifs qui permettent d’améliorer la gestion documentaire. Mais, en insistant autant sur celle-ci, elle a contribué à la bureaucratisation de la sécurité. L’approche actuelle de l’accréditation fait une part bien trop importante à des aspects mineurs ou sans utilité dans le domaine de la sécurité du patient, et néglige bien souvent les critères de l’EBM qu’elle prétend défendre [11]. Elle contribue à légitimer l’existence de services qualité, qui peuvent devenir une nouvelle source d’inflation procédurale en multipliant les recommandations, tant pour complaire aux organismes accréditeurs que pour se « protéger » d’éventuels contentieux. Elle détourne ainsi l’énergie des équipes vers des actions futiles vis-à-vis de l’optimisation des soins [12]. Un exemple de cette dérive est le critère retenu en Belgique pour illustrer la performance sécuritaire des hôpitaux : le pourcentage de déclarations d’événement indésirable que l’hôpital est capable d’encoder et d’exporter vers un registre national en respectant les règles de conformité syntactique d’un modèle XML6. On rêve…
Les dangers de la surenchère procédurale
Une enquête auprès des travailleurs du rail aux Pays-Bas montre que 95% d’entre eux estiment que, si les règles étaient respectées, le travail ne pourrait être réalisé dans les temps. Seuls 3% disent consulter régulièrement le répertoire des règles ; 70% trouvent qu’elles sont trop nombreuses, parfois compliquées ou qu’elles se contredisent [13]. Il faut environ 600 règles et procédures pour régir l’activité d’une infirmière en service général, dont elle ne pourra citer spontanément qu’un centième environ. Ce qui ne l’empêche pas d’effectuer son travail en toute compétence en tenant compte des contraintes diverses entre lesquelles elle doit arbitrer [14]. La complexité des règlements, leur multiplication, rend leur consultation difficile, surtout dans l’urgence. L’expérience montre en outre que, pour chercher la bonne procédure, il convient d’abord d’avoir correctement diagnostiqué le problème qui se pose. L’exemple de Three Mile Island est éloquent quant à cette difficulté. La surenchère procédurale ne prend que rarement en compte les ressources disponibles, et en particulier le temps que les opérateurs peuvent consacrer aux routines de sécurité. Ces procédures peuvent alors détourner du temps utile dans un but certes louable, mais qui peut s’avérer futile au regard des conséquences néfastes qu’entraîne leur respect. Cela se manifeste souvent « par l’absurde », par une amélioration de la sécurité lorsqu’on supprime une règle. On a constaté ainsi que la levée de mesures de protection de contact mises en place pour lutter contre la transmission de germes pathogènes multirésistants dans un service de chirurgie s’accompagnait d’une diminution de 19% des complications non infectieuses, et de plus de 70% si ces mesures incluaient l’isolement du patient. Les incidents infectieux n’augmentent pas (au contraire, les infections de plaies régressent) [15]. D’autres avaient avant cela soulevé les risques que le comptage systématique des compresses et des instruments faisait courir au patient pendant une intervention. Outre le fait que ce comptage n’est pas toujours fiable, il prend plus d’une demi-heure de temps de l’infirmier si l’intervention est complexe (il faut ajouter en cours d’opération des instruments et des compresses qu’il faut recompter), il mobilise toute son attention et retarde ses réactions aux demandes du chirurgien [16]. L’ignorance qu’une règle ou qu’une procédure existe est bien plus fréquente que sa transgression volontaire. Chacun a tendance à estimer que sa façon de faire est la meilleure, voire la seule.
La bureaucratisation de la sécurité
La multiplication des règles modifie les priorités du « middle management », qui est souvent impliqué dans leur rédaction. Il consacre une grande partie de son temps à l’élaboration et à la mise à jour de procédures, au détriment des aspects relationnels de sa fonction et des interactions au plus près du terrain avec les équipes, de leur supervision et de l’enseignement [17]. Le personnel pour sa part exige des règles pour couvrir sa responsabilité. Dans un monde où les règles sont nombreuses, on en vient à refuser d’agir s’il n’en existe pas pour baliser les gestes nécessaires : elles sont alors perçues comme un filet de sécurité. L’extrême veut que l’obéissance aux règles cesse d’être un moyen d’arriver au but pour devenir le but lui-même : on entre dans ce qu’on a appelé la « bureaucratisation de la sécurité », qui est une menace redoutée. Max Weber, un sociologue allemand, définit la bureaucratie comme un système administratif s’appuyant sur une division rigide du travail pour identifier à qui confier des tâches spécifiques, des règles établissant clairement les relations hiérarchiques (y compris celles qui permettent d’obtenir l’obéissance par la coercition), sur un système de règles et de procédures écrites, intangibles et impératives, et sur une résistance au changement qui rend son éviction improbable. Il écrit que « la bureaucratisation de la vie humaine peut piéger l’individu dans une cage impersonnelle solide comme l’acier, faite de règles et de contrôles rationnels » [18]. La bureaucratie qu’entraîne l’inflation des règles accroît la complexité du système, qui tend à son tour à augmenter le besoin en bureaucratie [19], ce que Cyril Northcote Parkinson a souligné avec beaucoup d’humour dans son histoire de la Royal Navy7 [20]. Elle est sans doute difficilement évitable dans l’univers de la santé, où la contrainte de contenir le « coût de la santé », qui nécessite une recherche de productivité, se heurte à la demande sociale de davantage de sécurité. La réponse à ces impératifs paradoxaux passe habituellement par la multiplication des règles, des procédures et des guidelines (recommandations) [21]. Les « high reliability organizations8 » (HRO) luttent contre cette bureaucratisation en prônant le recours judicieux à l’expertise et la capacité de s’adapter à un monde changeant où des compromis sont incontournables : ces organisations considèrent que la procédurisation à outrance leur fait perdre de vue leurs valeurs et leurs buts. Le culte de l’obéissance aux règles (compliance) y mine le « sens moral de la sécurité » qui fonde la culture de sécurité. Ce sens moral permet de gérer et d’admettre les compromis, d’accepter l’erreur quand elle est inéluctable et de se contenter de solutions accessibles, même si elles ne sont que satisfaisantes et rarement optimales [22].
Le détournement de la médecine basée sur la preuve
Les « procédures » en médecine s’avancent masquées sous les noms de guidelines, recommandations ou revues systématiques. Elles souffrent des mêmes défauts que les procédures dans l’industrie et dans le monde infirmier. Elles disent s’appuyer sur l’EBM, et cette déclaration assure leur légitimité. La vision des pionniers de l’EBM était sensiblement plus prudente. Ils partaient de la nécessité de faire évoluer la pratique médicale dans une direction plus scientifique : le médecin doit s’informer de l’évolution de la science médicale, et non plus se fier sa seule expérience personnelle. Il est confronté de ce fait à la contrainte de comprendre et d’interpréter un immense thésaurus de publications. Il faut lui fournir les outils indispensables pour lire de manière critique, pour rejeter les données peu pertinentes (mais parfois, il n’y en a pas d’autres), hiérarchiser les autres, en tirer les conclusions et enfin, et c’est capital, vérifier que ses sources et leurs conclusions s’appliquent bien au cas et à la personne du patient qui est devant lui. Cette dernière étape, le retour vers l’individu, est primordiale dans la vision des « inventeurs » de l’EBM. Un des outils utilisés est la « cotation » de la pertinence a priori d’un article, qui a fait de l’étude randomisée en double aveugle un standard incontournable. Mais, au-dessus de celle-ci, ils placent la méta-analyse et la revue systématique (quantitative). Que reste-t-il de cette autonomie du praticien que défendaient les promoteurs de l’EBM ? Très vite, des censeurs estiment que cette tâche de lecture critique de la littérature est bien trop complexe pour la plupart des médecins, et qu’elle leur prend un temps considérable pendant lequel ils n’exercent pas le rôle que la société et la gestion de la santé leur attribuent et rémunèrent : soigner des patients. Laissons donc cette tâche à des experts, indépendants par définition, qui fourniront au médecin des rapports prédigérés, disent-ils. Les guidelines et recommandations, les revues systématiques sans « réelle » tentative de dégager des conclusions statistiquement signifiantes sont ainsi une évolution « bureaucratique » que l’on est tenté de rapprocher du taylorisme : les experts définissent les recommandations, dont il suffirait de mesurer à quel point elles sont respectées dans un service pour estimer la qualité des soins qui y sont prodigués. On est bien loin de la médecine personnalisée, même si la structure des guidelines peut être complexifiée et même inclure les transgressions justifiées [23]. Cette évolution a donné naissance à cette forme « scientifique et bureaucratique » de la médecine, qui se réfère à l’EBM mais qui n’est pas « l’EBM » telle que voulue par ses inventeurs. Cette forme scientifico-bureaucratique a connu un succès quasi universel auprès des dirigeants. Partout sont nés d’initiatives gouvernementales des organismes qui « disent » la vérité de l’EBM et qui en tirent des directives proposées ou imposées aux médecins (via des remboursements ou l’absence de ceux-ci). On pense au NHS au Royaume-Uni, à l’IHI et à l’AHRQ aux États-Unis, à la Haute Autorité de santé en France, au KCE en Belgique9. Ils s’ajoutent aux diverses sociétés scientifiques, mais ont en sus le pouvoir d’infléchir l’attitude des médecins et les politiques médicales par des moyens « autoritaires » (généralement liés au financement de l’activité) [24]. Cette profusion des règles parfois contradictoires et des organismes qui les édictent rend difficilement applicables des tentatives législatives vertueuses (comme en Italie) qui exonèrent les professionnels de santé d’une responsabilité dans les conséquences d’un acte même si un événement indésirable survient, pour peu que cet acte ait respecté les guidelines publiées et admises [25]. Ces recommandations sont incroyablement fréquentes. Un registre, l’ex-National Guideline Clearing House10 (NGC) aux États-Unis, en dénombre par exemple 201 concernant l’infarctus myocardique en septembre 2015, et 230 deux mois plus tard11 [26]. Entre 1991 et 2014, le nombre d’articles recensés dans PubMed croît globalement de 153% par an. Dans le même temps, le nombre de revues systématiques augmente de 2 700% [27]. Il y aura bientôt davantage de revues systématiques que de recherches randomisées en double aveugle. Beaucoup de ces revues sont redondantes et de qualité médiocre. Il est évident que commenter les recherches faites par d’autres demande moins d’effort que de réaliser puis publier sa propre recherche. Certaines revues n’évitent pas les conflits d’intérêts, et sont parfois rédigées par des auteurs liés d’une manière ou d’une autre à des entreprises commerciales [28]. Il s’agit là du détournement du projet vertueux de l’EBM pour servir des curriculums scientifiques ou des intérêts non déclarés [29]. Les éditeurs sont sensibles à cette évolution, mais adoptent des attitudes variées et ne jugent pas tous de la même manière l’originalité et la qualité des revues systématiques qui leur sont soumises [30].
De la théorie générale à la pratique locale
L’expérience montre que la plupart des services médicaux des hôpitaux suivent des recommandations pour aborder, diagnostiquer, mettre au point et soigner des pathologies « standardisables ». Cette tendance existe surtout là où un large thésaurus de publications permet de tracer un « itinéraire » type, un accès rapide aux examens urgents et un traitement optimal. On l’a vu par exemple pour les maladies coronariennes et pour les accidents vasculaires cérébraux. Mais si les grandes lignes de ces règles médicales concordent généralement, le diable se cache volontiers dans les détails pour lesquels, d’un service à l’autre, les habitudes adoptées peuvent être très différentes. Le problème n’est pas de savoir qui a raison, qui se rapproche au mieux des recommandations (nationales ? Internationales ?), qui est le plus « orthodoxe » (par rapport à ?). Des différences de guidelines existent par exemple entre l’Allemagne et le reste du monde : des problèmes culturels peuvent jouer, comme le poids accordé aux avis d’experts, mais aussi des problèmes de définition et de frontières entre maladies, ou l’âge des documents comparés (on sait à quel point ils peuvent vite se démoder) [31]. Le problème gît toujours dans les interfaces : comment se comportera un spécialiste en formation arrivant dans un service où les règles ne sont pas les mêmes que dans celui où il a débuté son apprentissage ? Don Berwick, dans ses exposés si vivants qui ont fait beaucoup pour la cause de la sécurité, cite le cas d’accidents graves de transfusion chez des nouveau-nés pendant la période de transition où les poches de globules concentrés étaient encore utilisées dans certains services et plus dans d’autres : un jeune médecin, formé à transfuser des millilitres de sang reconstitué, provoquait de sévères polycythémies en transfusant sans le savoir les mêmes volumes de globules concentrés, avec l’hyperviscosité sanguine qui s’ensuivait. Les recommandations sont souvent rédigées loin du champ de bataille : celles qui visent à la prévention de la dissémination des germes multirésistants sont rarement totalement observées, principalement en raison du manque de ressources et en particulier de chambres seules [32]. Le mode de financement des hôpitaux les soumet à une grosse pression vers l’économie. La prévention des complications est pour eux un coût supplémentaire et représente parfois, osons le dire, un manque à gagner dans un financement à la pathologie. L’économie réalisée par la prévention profite à l’État et aux organismes assureurs, et son bénéfice n’est pas partagé avec les hôpitaux.
Pourquoi transgresse-t-on une procédure ?
Les types et origines des violations de procédure
Reason [33] classe les violations de procédure en quatre catégories : les violations routinières, où un opérateur, ou plus souvent un groupe, y compris ses cadres, estime que la règle est trop restrictive ou dépassée, et où sévit un défaut de surveillance et de discipline ; les violations situationnelles, en réponse à des situations spécifiques où la règle semble mal ou pas adaptée ; les violations exceptionnelles devant des situations jamais rencontrées et où les risques pris ne peuvent être estimés ; les violations par optimisation, pour résoudre des confits entre la sécurité et la pression à la production par exemple. Ces violations ont en gros quatre origines : les traits de caractère de l’opérateur (excès de confiance en soi, mauvaise perception du risque, etc.) ; des facteurs organisationnels (insuffisance du management, culture d’entreprise favorisant le laisser-faire, etc.) ; des facteurs matériels (conception, ergonomie, etc.) ; les règles elles-mêmes (mal conçues, dépassées, etc.). L’attitude de l’opérateur joue forcément un rôle dans la violation d’une procédure. Hudson distingue ceux qui se sentent à l’aise devant une violation « comme des loups », et ceux qui ne le sont pas « comme des moutons » [34]. Dans son étude, il observe que 22% des professionnels ne sont pas tentés de violer la règle et ne l’ont jamais fait (moutons en habits de mouton), 30% sont tentés de le faire et l’ont déjà fait (loups en habits de loup), 14% ne sont pas tentés, mais l’ont déjà fait, exceptionnellement à leurs yeux (moutons en habits de loup), et 34% se sentent à l’aise avec l’idée de violer la règle, mais n’ont pas (encore) eu l’occasion de le faire (loups en habits de mouton). Il suggère de calmer les loups en les faisant participer à la révision des règles qu’ils sont tentés de violer.
Les causes de violation des procédures
Sidney Dekker [35] classe les causes de violation en six catégories :
La théorie de l’étiquette
Il y a transgression lorsque nous appelons les choses ainsi. Une procédure courante dans un service de pédiatrie lors de la préparation de certaines dilutions et de l’administration de certains médicaments consiste à procéder à une contre-vérification par une seconde infirmière. La règle est bien écrite à condition que l’équipe soit au complet. Or il peut arriver, le week-end par exemple, que l’infirmière responsable ne trouve pas une collègue disponible à temps. Elle redouble alors de prudence, mais administre elle-même le médicament. Est-ce une violation ou une réaction compétente et professionnelle ? Ce n’est que si un incident survient, donc a posteriori, que l’on reconstruit l’événement et que l’on évoque la « transgression ». Ce biais de rétrospection veut que nous ne sachions que nous avons fait une erreur que si l’environnement nous le signale, par exemple sous la forme d’un accident. Jusque-là, la violation n’est sans doute qu’une adaptation (correcte ou non) à des conditions changeantes. Le problème réside aussi dans l’auteur de l’« étiquette ». Si c’est le fabricant de l’avion qui conclut à la transgression d’une règle après une série d’accidents, on peut soupçonner un conflit d’intérêts et qu’il cherche à se dédouaner de sa responsabilité [36]. On peut aussi souligner un court-circuit logique : l’auteur choisit le dénominateur de sa proportion (les accidents), et n’envisage pas tous les cas où ces transgressions n’ont pas eu de conséquence, ou même en ont évité.
La théorie du contrôle
« La confiance, c’est bien, le contrôle, c’est mieux ! » pensait-on en Allemagne de l’Est. Selon la théorie du contrôle, la tendance naturelle que nous avons à la transgression se heurte aux conséquences potentielles si on est pris (punition). Augmenter le risque d’être surpris est le moyen le plus simple d’éliminer la transgression. Installer des caméras en salle d’opération améliore clairement l’observance de la check-list chirurgicale, mais cela améliore-t-il pour autant la sécurité ? On change la manière de travailler, mais sur la base d’une motivation non constructive. Le management démontre ainsi qu’il n’a pas confiance dans les opérateurs (et pourquoi dès lors ceux-ci auraient-ils confiance dans le management ?) et on se satisfait d’opérateurs qui « font comme si » pour plaire à l’observateur et échapper aux sanctions.
La théorie de l’apprentissage
Le but du travailleur n’est pas d’obéir ou de désobéir à une règle, mais de réaliser le travail qu’on lui confie. Au fil du temps et de l’expérience qu’il acquiert, certaines règles lui semblent inutiles, voire aller à l’encontre de la bonne réalisation de son travail. Leur contournement ne s’accompagne d’aucune conséquence négative, lui apprend son expérience. Sa productivité s’améliore, et comme aucun incident ne survient, il est peut-être même félicité : les succès répétés font paraître l’échec de moins en moins vraisemblable. Ce qui est au début un ajustement fin des possibilités d’un système peut vite tourner à une dérive progressive vers une zone où le risque cesse d’être contrôlé. Ce glissement a été décrit par Rasmussen12, et plus récemment par Amalberti [37] et par Dekker [38]. Le fait que « jusqu’ici » cela a toujours bien marché rassure l’opérateur et le management, qui cessent d’être attentifs à des informations minimes qui souligneraient que la dérive persiste. Il y avait eu des lancements de Columbia dans le froid, on savait que les joints avaient déjà cessé d’être étanches, mais il n’y avait pas eu de conséquences : le signal existait, mais sa signification a été sous-estimée, finalement, il a été ignoré13.
La théorie de la pomme pourrie
La moitié des plaintes traitées par les compagnies d’assurance sont le fait de 3% des médecins. L’existence d’une plainte est en outre un bon prédicteur que d’autres suivront. Identifier et écarter ces « pommes pourries » semble alors bien plus efficace et économique que de mettre en place des mesures systémiques pour améliorer la sécurité [39]. Cette théorie, celle qui veut qu’il y ait des gens plus sujets à commettre des erreurs que d’autres, se heurte à une interrogation théorique de taille : le risque d’échec est-il le même pour tous les médecins ou, au contraire, certaines activités réalisées dans un cadre et une organisation donnés comportent-elles davantage de dangers quel que soit le médecin aux commandes [40] ? Et si certains manquent de compétence, où est la cause ? Comment ont-ils pu achever leurs études et leur spécialisation, qui les a recrutés, qui les supervise ? Et enfin, comment s’assurer de l’expertise d’un médecin et du maintien de celle-ci au fil des ans quand on sait, par exemple, que les systèmes de « recertification » américain et anglais n’ont pas résolu le problème ? Dans la plupart des spécialités chirurgicales en tout cas, la certification et son maintien ne garantissent pas moins de complications post-opératoires [41]. Ces systèmes ont par contre créé un nouveau souci : le stress et la perte de temps pour le praticien compétent qui doit se soumettre à cette recertification. Et pourtant un tel contrôle de l’aptitude est dans les gènes de l’aviation civile. La tendance à provoquer des accidents a tout d’abord été considérée comme un trait inné de caractère ou une déficience intellectuelle ou mentale. Ce trait intéresse plus les psychologues que les psychiatres, qui restent réticents à en faire un syndrome pathologique. Certains soulignent en effet que cette fragilité peut être très temporaire, liée à l’environnement ou à des conditions particulières (fatigue, bruit ambiant…) et ne pas être intrinsèquement une caractéristique de l’individu [42]. Et, de fait, les interventions systémiques comme l’introduction de l’oxymétrie de pouls sont plus efficaces que les sanctions contre les anesthésistes distraits. Cela étant, et malgré la grande hétérogénéité des études retenues, il faut bien admettre qu’une méta-analyse de la distribution des accidents dans une population générale montre que le nombre d’individus impliqués dans de multiples accidents est plus grand que celui prédit par l’opération du seul hasard [43]. Il existe par ailleurs la suspicion que l’expertise s’accompagnerait d’une tendance plus prononcée à prendre des risques. Il existe des arguments en faveur de cette thèse (la mortalité de services prenant en charge des pathologies cardiovasculaires diminue pendant que les médecins seniors sont partis assister à des congrès [44]), même si elle est loin d’être démontrée. Les responsables de l’aviation civile semblent le croire, même après l’accident du vol Rio-Paris [45]. Ils préfèrent ainsi le recours croissant à l’automatisation à une meilleure formation au pilotage en situation difficile : leur choix est de mieux préparer les pilotes à l’usage du pilote automatique plutôt que de les former à des manœuvres complexes (donc dangereuses) qui risquent d’être réalisées de manière inopportune. Seules les compétences professionnelles ont été envisagées jusqu’ici, mais il faut parler aussi de ce que les Américains appellent les « non-technical skills », qui regroupent toutes les attitudes qui favorisent la mise en commun des connaissances et l’action coordonnée (l’autorité naturelle ou au contraire l’obéissance active, les capacités de communication, le style de management…). Il existe effectivement des attitudes antisociales qui peuvent ruiner le fonctionnement d’une équipe, qui sont souvent le fait d’un seul individu même si cette attitude peut être contagieuse [46]. Malheureusement, le « coupable » fait souvent partie du personnel ou du middle management, et passe sous le radar de la direction. Il est d’autant plus dangereux que les subalternes ont peur de le dénoncer et peur de ne pas être crus. Dès lors, la plupart des actions de correction efficaces sont systémiques (politique de recrutement et de sélection des candidats, réorganisation de la pharmacie, instauration de dossiers médicaux partagés…) et ne se contentent pas d’éliminer les pommes pourries. Il faut sans doute admettre que les pommes pourries sont plus dangereuses si le cageot est lui-même de mauvaise qualité [47].
L’apparition de sous-cultures
Des groupes, à l’hôpital, souvent des services, s’appuient sur leur expérience pour ne pas tenir compte de règles jugées inutiles ou stupides. Encore une fois, déroger à la règle n’est pas fait dans l’intention de faire du mal à quelqu’un (même pas à l’auteur de la règle), mais pour réaliser le travail au mieux. Or faire au mieux nécessite la plupart du temps de faire un compromis (entre sécurité et productivité, le plus souvent) auquel les auteurs des règles et procédures n’ont pas songé : ils ne sont pas conscients de toutes les pressions qui s’exercent sur l’opérateur. L’habitude aidant, la mémoire même de l’existence de la règle finit par disparaître : « Ici, on fait comme ça ! » Les membres de ces sous-cultures ont souvent une identification forte à leur groupe, et manifestent une cohésion qui assure une formation et un coaching efficaces des nouveaux venus.
Le « resilience engineering14 »
Si une organisation complexe fonctionne, c’est parce que les opérateurs s’adaptent à tout moment à des conditions changeantes, parfois imprévues, en faisant de perpétuels compromis et non parce qu’elle suit aveuglément les règles. Si elle le faisait, l’activité se gripperait et finirait sans doute par s’arrêter : il suffit de voir l’effet des « grèves du zèle » pour en avoir une idée. Et c’est vrai pour l’aviation civile aussi : il n’y a pas si longtemps, les pilotes de Ryanair ont menacé de respecter strictement les règles de vitesse imposées sur les taxiways qui mènent aux pistes ou en reviennent : cette simple mesure suffit à désorganiser la plupart des aéroports aux heures de pointe. La théorie de la résilience cesse de voir les opérateurs humains comme des problèmes, mais bien comme des ressources, qui méritent la confiance. Cette confiance est la base d’une culture juste : sans confiance, une culture juste ne peut exister.
Vers une nouvelle taxinomie des procédures
En 2013, une revue de la littérature publiée depuis 1986 sur le management des règles de sécurité [48] montre que l’architecture des procédures obéit à deux paradigmes différents. Le premier voudrait que les procédures soient établies par un expert, imposées aux agents par un cheminement « top-down » (de haut en bas) [49]. Les règles sont rationnelles, exhaustives, statiques. Elles encadrent l’action et limitent la liberté de l’opérateur. Les violations sont des comportements fautifs, elles doivent être réduites ou supprimées. Le second paradigme veut que l’opérateur soit l’expert : c’est lui qui construit les règles dans une optique « bottom-up » (de bas en haut). Les règles sont dynamiques et l’opérateur les adapte pour répondre à la variabilité du monde réel [50]. Les règles sont alors des supports à l’action et n’ont pas de valeur coercitive [51]. C’est Andrew Hale qui a souligné le contraste entre ce qu’il a appelé le « modèle 1 » et le « modèle 2 » des procédures en rappel des notions de Safety-I et de Safety-II de Hollnagel [48]. Pour beaucoup, ces deux modèles sont mutuellement exclusifs, le modèle 2 étant l’évolution naturelle vers la maturité du modèle 1. Il convient d’être plus nuancé : l’hôpital est un milieu très hétérogène où peuvent coexister des conceptions différentes de la « sécurité ».
Le modèle 1 des procédures : des règles formelles
Le modèle 1 est rationnel et prescriptif, il s’appuie volontiers sur des bases et des concepts scientifiques. Les règles sont généralement conçues par des experts (top-down), mieux à même de saisir le déroulement du travail à faire dans son ensemble que les opérateurs au contact avec les patients par exemple. Ces derniers n’ont peut-être pas la même vision globale, et ont de toute manière autre chose à faire que de définir des procédures. Une fois rédigées, ces procédures sont gravées dans le marbre et sont imposées aux opérateurs. Les violations et les erreurs sont des événements qui doivent si possible être éliminés. Vous reconnaissez bien sûr l’empreinte indélébile des conceptions de Taylor, étendues au monde de la sécurité (qui n’était pas sa préoccupation). Pour ce modèle, la règle met de l’ordre dans la complexité du monde. Si un hiatus apparaît entre la règle et la manière dont elle est appliquée, c’est cette dernière qui doit obligatoirement être corrigée. C’est à ce modèle que se réfère habituellement la grande presse quand elle commente un accident. Il implique une obéissance aux règles qui est généralement promue et contrôlée par le management et les gestionnaires de la qualité, par les organismes d’accréditation ou par les magistrats si les règles ont force de loi. Ce modèle implique qu’une bonne procédure est forcément une procédure écrite. Ce culte de l’écrit nécessite à son tour une structure de gestion des documents et peut avoir des conséquences négatives si trop de temps est consacré à la rédaction plutôt qu’à la présence sur le terrain [17]. Force est d’admettre que la construction des procédures hospitalières répond plus souvent à cette première définition. Les procédures sont diffusées par divers moyens : séminaires, notes de service, formation continue. Leur observance est rarement mesurée même si c’est méconnaître le fait que le respect des règles repose plus sur la surveillance de leurs transgressions et la publication des résultats de ce monitorage à l’attention des équipes (feed-back direct) que sur l’éducation [52]. Dans le monde hospitalier, tant la rédaction des procédures que leur propagation se heurtent à sa complexité : y cohabitent des cultures et des motivations fort différentes. Si schématiquement le personnel infirmier considère que l’adhésion aux procédures est un signe de savoir-faire professionnel et qu’elle est dès lors valorisante, le monde médical y est ataviquement réfractaire. Il y voit une limitation de sa liberté et un manque de confiance en sa compétence [53]. Enfin, les bases mêmes de ces procédures ne résistent pas à l’érosion du temps : en EBM, la demi-vie d’une revue systématique ne dépasse pas cinq ans, et 7% de ces revues sont déjà dépassées au moment de leur publication [54]. Ces chiffres sont inquiétants lorsqu’on les compare à l’estimation de la durée du cycle de la qualité dans l’aviation, qui est de dix ans environ entre la reconnaissance d’un problème et l’application de la solution. L’accident du vol 447 est un bon exemple à cet égard. Le premier accident où le dysfonctionnement des sondes Pitot, qui mesurent vitesse et altitude, est évoqué date de 1975 et deux autres ont eu lieu en 1996 (Boeing 757). Avant le crash du vol Rio-Paris, treize cas de panne par givrage des sondes Pitot avaient déjà eu lieu sur des Airbus A330/A340, pour lesquels on dispose de rapports complets, même s’ils n’ont pas eu de conséquence grave. Air France, pour son compte, dénombre au moins neuf incidents entre mai 2008 et mars 2009. La publicité de ces incidents auprès des équipages a bien eu lieu. Une procédure en cas de doute sur la vitesse existe depuis 2001 pour l’Airbus : elle n’est en général pas appliquée par les équipages, même si elle est largement diffusée à la suite d’incidents rapportés depuis 1998. Des sondes moins sensibles au givre étaient testées depuis des années au moment de l’accident, mais les tests n’avaient jamais été suivis de décision. Ce n’est qu’après l’accident que ces sondes ont été systématiquement remplacées. Ce qui est intéressant ici n’est pas tant de décrypter la ou les causes du crash du vol 447, qui est loin de n’être dû qu’à cette panne, mais bien de souligner qu’il a fallu attendre longtemps pour qu’une une stratégie de prévention solide soit mise en place. Et qu’il n’y a aucune raison de croire que le cycle soit plus court dans le monde médical.
Le modèle 2 des procédures : des règles évolutives
Le modèle 2 prend en compte la variabilité du monde dans lequel nous évoluons, notamment à l’hôpital, sa grande imprévisibilité, ses contraintes souvent conflictuelles (productivité et ressources limitées, contre-indication et degré d’urgence…) [55]. C’est cette fois l’acteur qui est reconnu comme expert [56], la règle n’est plus forcément écrite, ne fût-ce que pour être plus volontiers acceptée [57]. Si elle est écrite, elle est d’ordre général et relativement peu précise : elle doit être interprétée pour être applicable à une situation concrète : elle est au mieux au niveau de la « règle procédurale » et non de la « règle d’action ». Elle cherche plus à être pratique qu’à être exhaustive. Elle est locale, donc bottom-up, et est l’œuvre d’opérateurs experts : il peut exister une résistance aux procédures imposées de l’extérieur. Dans ce cas, le groupe continue à suivre les règles informelles habituelles, ce qui est vu de l’extérieur comme une transgression, alors que le groupe n’y voit qu’une adaptation élégante à la situation concrète à laquelle il est confronté. L’apparition de transgressions à la règle entraîne une réflexion sur sa validité et non la sanction du transgresseur : est-elle encore à jour et justifiée, est-elle bien écrite, est-elle utile ou nuisible [58] ? Cette vision est proche du resilience engineering : on insiste sur l’utilité de la procédure plutôt que sur sa perfection formelle [59]. Ce modèle part donc des situations concrètes, les règles sont des inductions ou des abstractions de cette réalité, alors que le modèle 1 considère que la règle est intangible et en déduit qu’une action est soit respectueuse, soit une violation. Le modèle 2 est toutefois sujet à critiques également : il implique une certaine expertise des acteurs et met le « débutant » en difficulté. Il est plus difficile d’en surveiller l’adhésion, qui cesse d’être un phénomène binaire oui/non. Enfin, il ne faut pas vouloir systématiquement rejeter le premier modèle : les check-lists qui répondent à sa définition ont des effets positifs démontrés, en particulier dans la sécurité au bloc opératoire15 [60,61].
Alors, modèle 1 ou modèle 2 ?
L’existence de violations malgré tous les efforts consentis pour les éliminer fait réfléchir à la pertinence du modèle 1. Faut-il simplement mieux l’appliquer en s’efforçant de mieux définir des règles de meilleure qualité, plus aisément acceptables et applicables ? Ou faut-il au moins dans certains cas laisser davantage de liberté à l’opérateur, quitte à en améliorer l’expertise (tout en sachant que l’expert a tendance à prendre plus de risques que le non-expert), ce qui revient à tolérer son évolution « naturelle » vers le modèle 2 ? De ce point de vue, le modèle 1 est adapté aux besoins des « débutants » dont les automatismes doivent être construits, et devient une gangue pour l’expert qui doit pouvoir dépasser ses automatismes quand la situation l’exige. La faiblesse du modèle 1 repose aussi sur le fait que la conception des procédures est souvent tayloriste à l’extrême. L’exécutant n’a pas besoin de comprendre pourquoi il faut agir de telle ou de telle manière : il lui suffit d’appliquer les règles prescrites les unes à la suite des autres. C’est méconnaître la nature humaine. Suivre une succession de directives dans l’ordre imposé, sans autre explication, mène à des oublis (des directives « sautées »), ou à des contestations de leur validité qui conduisent à des violations. La lecture de bien des manuels d’utilisation n’y découvre que la simple énumération, parfois illustrée, d’une suite d’opérations à exécuter, sans aucune justification ni définition des mécanismes en cause. La connaissance de ceux-ci est pourtant de nature à améliorer l’observance [62].
Le management des procédures
Un système de management des procédures contemporain doit être capable de gérer la complexité des situations rencontrées et les exceptions à la règle, quel que soit son niveau de détail. Il ne peut se limiter au travail de « gestion documentaire » voulu par les accréditations ni à la seule définition de leur développement et de leur diffusion, mais doit envisager avant tout leur monitorage, leurs adaptations et leurs changements. Il peut exister des règles intangibles dont la violation entraîne de facto des conséquences disciplinaires. Certaines doivent être écrites, d’autres doivent être répandues par l’éducation et l’apprentissage et surveillées par le contrôle social. L’important est de ne pas laisser se creuser un fossé entre les procédures et la pratique. Il peut exister des règles tacitement admises, peu ou pas traduites en textes : un management idéal devrait pouvoir réconcilier le modèle 1 et le modèle 2 quand c’est possible, et permettre, en fonction de la spécificité des situations (donc souvent et heureusement des services), la prééminence d’un modèle sur l’autre [63]. Le modèle de Larsen [64], largement commenté par Hale [65], propose ainsi les étapes détaillées ci-après (Figure 1).
Observer les règles existantes et en montrer les effets (1)
Avec le monitorage, il s’agit d’observer comment les gens travaillent effectivement et, dans le cas où il existe des règles implicites, s’il convient ou non de les formaliser. Celles qui sont formalisées sont-elles connues et respectées ? La méthode la plus efficace pour diffuser une procédure est sans doute d’en auditer le respect, et surtout de communiquer le résultat de cet audit [52]. Les care bundles nous ont habitués à ces tableaux souvent mis à jour mettant en parallèle l’indicateur de procédure (le respect et l’application des éléments du bundle) et l’indicateur de résultat (les pneumopathies acquises au respirateur par exemple). Le graphique publié, ou affiché dans le service, est un moyen simple, qui peut être renforcé par des discussions en groupe. Ce monitorage peut être le fait d’un observateur extérieur (pour l’observance du lavage des mains par exemple). Il peut être réalisé par l’opérateur lui-même (déclaration de ses erreurs) si la culture le permet, ou être favorisé par un travail en groupe où chacun supervise l’autre à son tour et parle librement (comme dans un cockpit d’avion). C’est parfois le cas entre collègues, mais aussi souvent dans les hôpitaux entre médecins et infirmières, pour peu que la parole soit encouragée et écoutée. Le management doit résister à la tentation de la « caméra de surveillance », quelle qu’en soit la forme technique : elle détruit la confiance.
Évaluer la pertinence et l’efficacité des règles (2)
Le modèle 2 fait un point essentiel de l’évaluation des règles mais, quasi partout, la redéfinition des procédures et leur nouvelle diffusion est sensiblement en retard sur l’actualité du travail tel qu’il est effectué. Le modèle 2 explique que ce hiatus est comblé par les règles tacites issues de l’expertise des acteurs. L’idéal serait de pouvoir expliciter au moins partiellement ce thésaurus pour en permettre l’audit. Si la règle est jugée pertinente (elle introduit une barrière efficace, elle est bien construite et compréhensible, bien formulée et son apprentissage est facile), on passe à l’étape « en renforcer l’usage », sinon on la change ou on la supprime.
Renforcer l’usage des « bonnes règles » (3)
On a vu que le feed-back était nécessaire et que les règles devaient être respectées. Leur renforcement doit-il passer par l’action disciplinaire ? Notons qu’il y a généralement conflit entre déclaration spontanée et audit coercitif. La crainte des contrôles aide à réduire l’imprégnation éthylique au volant, mais des campagnes bien menées peuvent faire mieux. L’exemple classique est la victoire célèbre de Jacky Ickx aux 24 heures du Mans de 1969. Il était parti bon dernier après avoir pris le temps de boucler (ostensiblement) sa ceinture de sécurité. Sa victoire a fait bien plus pour le port de la ceinture que la peur du gendarme.
Exécuter les règles et gérer les exceptions (4)
C’est ici que les deux modèles diffèrent. Le modèle 1 cherche à réduire l’exception, voire à la supprimer : plutôt que gérer l’exception si la situation sort de la zone prescrite, mieux vaut arrêter le système. C’est le principe du « no fly » : si la météo est mauvaise, l’avion ne décolle pas. C’est parfois appliqué à l’hôpital (radiothérapie par exemple), partiellement dans certains cas (le report d’intervention chirurgicale, par exemple, qui reste fort dépendant de la culture du chirurgien). Au contraire, le modèle 2 voudra par exemple que l’on entraîne les plus doués à décoller par gros temps jusqu’à un niveau de risque jugé acceptable. Le système de management des procédures devrait répondre à cette question dans la mesure où ce genre de situation est inévitable. Le management doit définir à partir de quel moment la règle cesse de s’appliquer et l’expertise de l’opérateur prend le relais, tout en assumant sa responsabilité dans les deux situations.
Réécrire ou supprimer les règles superflues (5)
Une volonté de fiabilité et de légitimité tend à couler les règles dans le bronze. Ce statisme provoque néanmoins l’apparition de contournements non officiels des procédures, et atténue l’effet que devrait avoir l’obsolescence sur la volonté de revoir les règles. La nécessité de monitorer les procédures naît de la volonté de suivre au mieux l’évolution du travail, donc de le connaître et le comprendre davantage et de couler cette connaissance dans des règles. C’est indispensable si on ne veut pas voir s’enfler caricaturalement le thésaurus des procédures, et induire une tolérance aux règles inutiles et dépassées. Les règles méritent d’avoir une durée de vie déterminée, à la suite de laquelle elles sont examinées, mises à jour ou éventuellement supprimées. Le problème se pose aussi et de manière critique pour les règles et directives cliniques. L’évolution des connaissances peut rendre telle règle inefficace (dépistages trop rapprochés), non indiquée (parce que de nouvelles études en ont décidé), ou se situant dans la zone grise où les preuves n’existent pas ou sont contradictoires. Les obstacles à la « désimplémentation » sont nombreux, à commencer par le patient lui-même, qui résiste volontiers à la suppression d’un traitement instauré, même si l’EBM le déclare aujourd’hui inefficace. Le médecin de son côté peut adopter une attitude défensive et hésiter à arrêter purement et simplement un traitement sans le remplacer par un autre : ne rien faire est stressant et donne un sentiment d’impuissance et de culpabilité. Des facteurs liés à la culture organisationnelle de l’hôpital peuvent jouer un rôle, de même que la structure socio-économique (remboursement ou non des soins) et les normes culturelles. Le financement des soins peut ainsi aller à l’encontre de l’EBM en continuant à rembourser des traitements qui n’ont montré aucune preuve d’efficacité (voir par exemple l’attitude hétérogène des différents assureurs devant l’homéopathie) [66]. Si la littérature est riche en exemples illustrant l’« implementation science16 », elle l’est moins quand il s’agit d’aborder la désimplémentation [67-69]. Le sujet est pourtant d’importance si on désire continuer à coller aux progrès de la science médicale et de l’EBM.
Analyser les activités, dresser la carte des risques et des mesures de contrôle de ces risques (6)
À l’hôpital, la bonne règle est celle qui est réaliste le samedi soir (et pas seulement le mardi matin, quand tout le monde est sur le pont, frais et dispos). Il est important de fixer d’emblée son attention sur l’activité telle qu’elle se déroule et non telle que l’ont rêvée ses concepteurs. Nous avons vu le fossé qui peut exister entre la théorie (le « work as imagined » des manuels) et la pratique (le « work as done »). L’analyse de risque (Amdec17 ou autre) s’appuie souvent sur le travail tel qu’il devrait s’exécuter et ne prend pas en compte les adaptations implicites que l’expérience a apportées parfois dès le début de l’activité. La cartographie des risques prend du temps pour être exhaustive et nécessite des compétences multiples : bien souvent, l’expérience et les règles tacites sont simplement explicitées et formulées pour fournir les bases des procédures tant que l’analyse n’est pas terminée. L’analyse sert alors de validation de la règle « intuitive », ou souligne éventuellement l’utilité de la revoir. Là où existe une bonne cohésion d’équipe (certains blocs opératoires), il est possible de confier au groupe le soin de réaliser l’analyse de risque et de décider de ce qui doit être écrit ou non. La procédure en elle-même n’est qu’une barrière peu efficace contre un risque quelconque. Elle est néanmoins le plus souvent indispensable : même une barrière matérielle doit être inspectée et entretenue si on veut qu’elle reste efficace, et cette maintenance est généralement décrite par des procédures. Le « client » des règles devrait être l’opérateur avant tout, mais d’autres clients existent : l’auditeur (qui en a besoin pour en mesurer l’observance), ou le gestionnaire de la sécurité (qui peut ainsi les dénombrer et les monitorer). Le formateur en a besoin aussi pour formuler ses objectifs et le moyen de les évaluer. Clairement à ce niveau se pose la question de choisir entre le modèle 1 ou le modèle 2, de s’appuyer sur des règles formelles ou sur un savoir plus tacite. Un contrôle social tel que celui introduit par les check-lists au bloc opératoire sont une alternative à de longues procédures. Si bien rédigées soient-elles, les procédures ne peuvent pas couvrir l’ensemble des activités : l’imprévu existera toujours. Les instructions détaillées sont utiles pour des événements rares et aux conséquences graves, et au début de la formation des opérateurs.
Développer et rédiger des règles adéquates (7)
Ici encore, le choix entre les deux modèles est nécessaire. L’expertise des utilisateurs doit aussi être prise en compte : un utilisateur aguerri n’exigera pas trop de règles d’action, et davantage de règles procédurales. Une safe operating zone définie strictement par des règles précises risque d’entraîner des violations au nom de la productivité, exposant l’utilisateur à s’aventurer dans un territoire qu’il ne maîtrise pas et dont il ne perçoit pas les limites à ne pas franchir. Cela étant dit, des exigences légales par exemple peuvent imposer des règles intangibles, dont on ne peut s’écarter qu’exceptionnellement. La participation de l’utilisateur à l’élaboration des procédures est une condition du succès, quel que soit le modèle choisi. Cela peut s’avérer difficile, voire impossible, dans une société très hiérarchisée. Cette participation ne doit pas forcément impliquer la rédaction de la procédure, mais concerner une consultation périodique à propos de celle-ci, ce qui est mieux adapté à la vision top-down du modèle 1. La procédure doit comporter un juste niveau d’explications sur le pourquoi elle est formulée de telle ou telle façon, sur les situations qu’elle concerne et celles auxquelles elle ne convient pas, et sur les conditions nécessaires à son application. Trop peu d’explications augmentent le risque de violation ou de perplexité de l’utilisateur, qui ne sait pas si la règle s’applique ou non. L’organisation peut oublier pourquoi la règle a été créée, ce qui peut mener à des modifications dangereuses de la règle. Trop de commentaires en revanche accroissent la complexité de la procédure. Les procédures concernant la sécurité gagnent à être intégrées dans celles qui guident l’activité. Cela facilite le travail de l’utilisateur et diminue le volume des règles nécessaires, mais est parfois mal vu par le responsable d’un agrément ou d’une accréditation qui ne s’intéresse qu’aux aspects sécuritaires et non aux aspects fonctionnels. Les procédures doivent être rédigées de manière claire, lisible et compréhensible pour le public auquel elles s’adressent, or le danger du modèle 1 est de surestimer le niveau de compréhension de l’utilisateur. Il ne suffit pas de se concentrer sur la lisibilité de la procédure : le contenu, la clarté des règles, leur côté approprié et légitime doivent être abordés. On peut rêver de définir aussi les cas où la procédure cesse de s’appliquer, comment se comporter dans les situations imprévues et quelles priorités choisir si un conflit survient, mais cela aboutit à la rédaction de règles longues, complexes et inutilisables.
Tester et approuver les procédures (8)
Une période d’essai est toujours utile avant de généraliser l’usage d’une procédure. L’évaluation est formalisée dans le modèle 1 d’autant plus que la règle est complexe, où divers attributs doivent être mesurés. Outre l’accessibilité et la clarté des règles, leur validité face à l’EBM, le rapport coût/bénéfice, leur fiabilité, la prise en compte des divers intérêts en jeu (en particulier celui du patient), la gestion des exceptions, la lisibilité et la qualité de la documentation, et enfin leur présentation sont autant de critères qui doivent guider la critique [49]. Le consensus parmi les utilisateurs est le critère prédominant dans le modèle 2.
Diffuser les procédures et entraîner les opérateurs (9)
Le but de l’entraînement est de trouver le juste équilibre entre l’intériorisation des procédures (pour ce qui touche à la routine), et la connaissance de leur existence et du moyen de les dénicher afin de les consulter pour ce qui est plus exceptionnel. En ce qui concerne le modèle 2, cette étape est celle où l’image mentale de la règle et de ses motivations est suffisamment claire pour que l’utilisateur soit capable de l’adapter à des situations nouvelles, en particulier à des situations complexes où il faut faire face par exemple aux défaillances de matériel ou d’autres opérateurs en amont. Un aspect à ne jamais perdre de vue est l’importance de l’information sur les procédures nouvelles ou sur de simples modifications si on ne veut pas voir perdurer des procédures abandonnées.
Conclusion
La responsabilité des gestionnaires du risque porte bien plus sur la gestion active des procédures que sur la mesure de leur observance et le renforcement de celle-ci. Cette gestion nécessite des compromis parfois acrobatiques entre les obligations réglementaires, les contraintes administratives et les intérêts du patient ou la sécurité psychologique du personnel de soins. Elle doit être adaptée à la situation particulière de chaque hôpital. L’obsolescence des procédures devrait entraîner leur révision ou leur suppression sans discussion, mais cette révision n’est pas toujours du ressort de l’hôpital, qui hésitera à trancher si la procédure résulte d’une décision venue « d’en haut ». Passer outre nécessite pour le moins de réunir un argumentaire bien documenté à défendre lors des visites d’accréditation ou de certification.
Notes :
1- Voir https://www.risqual.net/numero/livre-qualite-et-securite-des-soins-une-approche-alternative, chapitre I (Consulté le 19-04-2023).
2- Voir https://www.risqual.net/publication-scientifique/chapitre-i-une-histoire-de-la-securite-partie-2-lirruption-de-la-complexite#title3 (Consulté le 19-04-2023).
3- Voir https://www.risqual.net/publication-scientifique/chapitre-iii-le-signalement-des-evenements-indesirables-intentions-methodes-et-resultats#title3 (Consulté le 14-08-2023).
4- Voir https://www.risqual.net/publication-scientifique/chapitre-vii-les-barrieres-un-barrage-contre-le-pacifique (Consulté le 14-08-2023).
5- Le mouvement « accréditation » s’inscrit dans une logique « économique » de globalisation : à force d’externaliser des activités là où cela coûte le moins cher, on désire s’assurer que certains critères sont respectés même à l’étranger, d’où les normes ISO (International Organization for Standardization) par exemple. Ce n’est pas différent en médecine : cf. le débordement du système de santé anglais, ou le tourisme médical à la recherche de lieux où l’on peut être soigné plus vite ou moins cher [6]. L’accréditation serait un copycat (innocent ?) de ces normes à visées économiques et industrielles.
6- Extensible markup language, langage de balisage extensible, utilisé par exemple pour décrire des « objets » informatiques.
7- Parkinson note qu’entre 1914 et 1928, le nombre de grosses unités navales baisse de 542 à 317 et le nombre de marins et officiers de 126 000 à 90 700. Dans le même temps, le nombre de fonctionnaires de l’amirauté augmente de 4 366 à 7 729. En 1967, il reste 114 bâtiments et 83 900 matelots et officiers, et on peut compter sur 33 874 fonctionnaires [20].
8- Organisations de haute fiabilité, voir https://www.risqual.net/publication-scientifique/chapitre-i-une-histoire-de-la-securite-partie-2-lirruption-de-la-complexite#title3 (Consulté le 19-04-2023).
9- NHS : National Health Service (Service national de santé) ; IHI : Institute for Health care Improvement (Institut pour l’amélioration de la santé) ; AHRQ : Agency for Healthcare Research and Quality (Agence pour la recherche et la qualité en santé) ; KCE : Kenniscentrum-Centre d’expertise.
10- Centre national d’information sur les lignes directrices.
11- Des raisons budgétaires ont restreint l’accès gratuit et public à cette base de données en 2018.
12- Voir https://www.risqual.net/publication-scientifique/chapitre-i-une-histoire-de-la-securite-partie-1-de-la-mine-de-charbon-a-la-salle-doperation#title10 (Consulté le 19-04-2023).
13- Voir https://www.risqual.net/publication-scientifique/chapitre-ii-la-culture-de-securite-graal-ou-panacee (Consulté le 19-04-2023).
14- Voir https://www.risqual.net/publication-scientifique/chapitre-i-une-histoire-de-la-securite-partie-2-lirruption-de-la-complexite#title3 (Consulté le 19-04-2023).
15- Voir https://www.risqual.net/publication-scientifique/chapitre-vii-les-barrieres-un-barrage-contre-le-pacifique (Consulté le 14-08-2023).
16- Les sciences de l’implémentation se définissent comme « l’étude scientifique de méthodes visant à promouvoir l’adoption systématique des résultats de recherche et autres pratiques fondées sur des preuves dans les pratiques de routine et, ainsi, d’améliorer la qualité et l’efficacité des soins » (Société de pathologie infectieuse de langue française).
17- Analyse des modes de défaillance, de leurs effets et de leur criticité. Voir https://www.risqual.net/publication-scientifique/chapitre-v-les-analyses-prospectives-de-risque-une-vision-systemique-a-encourager (Consulté le 19-04-2023).