Les critères clés d’un projet d’amélioration de la sécurité
Un projet d’amélioration de la sécurité qui a l’ambition de donner naissance par exemple à une « bonne pratique » doit être pensé dès les premières étapes de sa construction pour pouvoir répondre à trois critères :
- être construit sur une architecture solide, susceptible de générer les éléments probants qui permettront d’argumenter objectivement son efficacité. Des revues systématiques publiées depuis peu isolent des critères de qualité vers lesquels il faut s’efforcer de tendre [1]. Il s’agit bien sûr d’un idéal qui sera rarement satisfait à cent pour cent, mais il faut au moins être conscient de l’existence de ces critères et pouvoir argumenter le pourquoi des déviances éventuelles. Le choix le plus fréquent est celui de l’architecture PDSA (plan-do-study-act), il n’y a guère PDCA (plan-do-check-act1) ;
- être viable en tant que projet, être accepté par les parties prenantes, évoluer et réussir. Si la qualité de sa conception peut parfois favoriser son adoption, ce sont souvent d’autres affirmations et d’autres considérations qui sanctionnent ou non sa mise en œuvre. Il convient de faire la part des choses entre le mode des connaissances (ce que je transmets, ce que j’apprends) et la mise en œuvre de celles-ci, qui nous intéresse dans ce chapitre. Là aussi, des revues systématiques isolent les qualités d’un projet qui conditionnent la réussite de sa réalisation et sa mesure [2,3] ;
- être transposable à d’autres services ou à d’autres institutions. La structure du projet et sa méthode d’implémentation doivent être claires dans l’esprit de leur promoteur, et suffisamment évidentes pour pouvoir être exposées et comprises par un auditeur extérieur au projet. Il existe des check-lists et des critères qui s’appliquent à la publication d’études sur des sujets touchant surtout à la qualité [4]. Ils tiennent compte du fait que les méthodes utilisées ne sont pas toujours « quantitatives », comme en recherche médicale par exemple, mais qu’une part des informations peut être recueillie par des méthodes qualitatives [5].
Ce qui est important, c’est que ces trois aspects soient traités en parallèle dès l’élaboration du projet. Se préoccuper de sa beauté formelle sans savoir s’il sera accepté conduit à l’échec malheureux d’un projet pourtant bien construit. Se préoccuper trop tard de comment on va communiquer les résultats dans le but de convaincre aboutira trop souvent à la constatation que l’argument vraiment convaincant n’a tout bonnement pas été recueilli. La vie d’un projet dépend de la qualité de sa conception. Partons du principe que le choix de l’outil est acquis : il s’agit du PDSA. Cet acronyme a remplacé progressivement le plus ancien PDCA, et est plus largement répandu dans la littérature anglo-saxonne. Ce chapitre détaille les critères permettant de juger de la qualité de l’application de l’outil PDSA. Les cycles PDSA ne tombent pas du ciel, le projet d’amélioration s’insère dans un contexte, que nous pouvons décrire. Il peut être a priori favorable ou défavorable mais, surtout, nous disposons de moyens « managériaux » d’agir sur ce contexte pour le modifier, ou parfois en contourner les défauts. Les composantes contextuelles et les actions de mise en œuvre du projet sont traitées ensemble. Leur influence sur telle ou telle partie du cycle PDSA est soulignée, de même que l’inscription de l’architecture PDSA dans le monde réel. Enfin, nous faisons l’inventaire des éléments nécessaires à la documentation du projet, afin d’en permettre la description et de le faire comprendre à un observateur extérieur et, pourquoi pas, de le publier. Ces derniers éléments sont le fondement de la généralisation du projet.
Le Plan-Do-Study-Act
Vous avez choisi le modèle PDSA comme outil d’amélioration de la qualité. C’est un outil qui vient de la gestion « industrielle » de celle-ci. Il est adopté et parfois adapté par tous les systèmes récents de gestion de la qualité (lean, Six Sigma et bien d’autres). Bien appliqué, il permet de mesurer l’évolution d’un projet et les changements qu’il induit : il génère donc des éléments probants qui, s’ils sont de bonne qualité, vous procurent des éléments objectifs qui peuvent intervenir dans une démarche « basée sur la preuve » (« evidence based »). L’outil est-il adapté à la gestion de la sécurité ? Si on en reste à la vision rationnelle et classique des enchaînements linéaires de liens de cause à effet, de défense en profondeur selon Reason, les parallèles avec la gestion de la qualité sont possibles. C’est clairement à ce titre que l’Institute for Healthcare Improvement (IHI) américain l’a adopté et promu [6]. Si on embrasse la complexité et qu’on accepte l’intervention d’effets stochastiques, on comprend que la vision mécaniste des cycles qui se suivent même en s’imbriquant est simplificatrice. Malgré le recours accru aux méthodes d’amélioration de la qualité, les preuves de leur utilité sont faibles et peu fondées [7,8,9]. Les cycles PDSA sont souvent un élément central des initiatives d’amélioration de la qualité puis de la sécurité. Cependant, peu d’évaluations objectives formelles de leur efficacité ou de leur application ont été réalisées [10]. Il a été démontré que certaines approches PDSA entraînent des améliorations significatives des soins et apportent des résultats pour les patients [11], tandis que d’autres n’ont aucun effet observable [12,13,14]. Ainsi, les preuves de l’efficacité des interventions d’amélioration de la qualité et du PDSA en particulier restent mitigées. La littérature conclut le plus souvent que ces interventions ne sont efficaces que dans des contextes spécifiques, et surtout là où les objectifs sont définis et délimités dans le temps. À l’inverse, les interventions que l’on voudrait efficaces dans des projets systémiques devraient être complexes et multidimensionnelles [15,16,17], et développées de manière itérative pour s’adapter à la situation locale et répondre aux obstacles imprévus et aux effets non intentionnels [18,19]. Le PDSA est une belle construction, mais ressemble à une épure d’un « monde idéal ». Son utilisation dans la pratique est une tout autre aventure : dans une revue systématique récente [1], l’application des cycles PDSA a été évaluée par rapport aux caractéristiques clés de la méthode, en particulier l’existence de la documentation, l’utilisation de cycles itératifs, les tests de prédiction du changement, les tests initiaux à petite échelle et l’utilisation des données au fil du temps. Sur 73 articles individuels identifiés ayant satisfait aux critères d’inclusion, 47 ont documenté les cycles PDSA de manière suffisamment détaillée pour permettre une analyse complète par rapport à l’ensemble du cadre. Nombre de ces études ont fait état d’une application du PDSA qui ne correspondait pas aux caractéristiques principales de la méthode. Moins de 20% (14/73) ont tout à fait documenté l’application d’une séquence de cycles itératifs. En outre, un manque d’adhésion à la notion de changement à petite échelle est apparent et seulement 15% (7/47) des articles ont signalé l’utilisation de données quantitatives à des intervalles mensuels ou plus fréquents pour informer de la progression des cycles. En d’autres mots, seuls 7/73 articles satisfaisaient l’ensemble des critères qualitatifs auxquels les PDSA doivent répondre pour en mériter le nom. La barre est-elle mise trop haut, ou le PDSA est-il un « idéal » hors d’atteinte ? Et est-il adapté à l’amélioration de la sécurité dans un contexte complexe ?
Critères de qualité
Une application qualitative du modèle PDSA doit répondre aux caractéristiques suivantes : itérer les cycles, tester tout changement prévu, se faire à petite échelle dans un premier temps, répéter les mesures dans le temps, documenter les actions et les résultats (Tableau I).
Conditions favorisant la mise en œuvre
Les outils d’amélioration de la qualité apparaissent comme les pièces maîtresses d’un projet stratégique plus global. La gestion de projet a donné lieu à de nombreuses publications dans le monde managérial, et à l’éclosion de théories et de systèmes plus ou moins clés en main, plus ou moins « protégés » par des marques déposées. Des formations qualifiantes (et payantes, cela va généralement de pair) existent. Citons PRINCE2® (Projects In Controlled Environments ; Axelos Ltd., Londres, Royaume-Uni) qui est largement répandu. Le problème de ces systèmes très documentés et très codifiés est un peu le même que celui des agréments et des accréditations : ils mettent l’accent sur l’orthodoxie de la gestion plus que sur l’originalité du projet. La méthode l’emporte sur le contenu, le respect des procédures sur le côté inventif et adaptatif.
Se préparer au changement
Une action d’amélioration implique un changement dans l’organisation ou plus simplement dans les habitudes. L’organisation et les acteurs doivent être convaincus de la nécessité de ce changement, ou au moins de son utilité, et en avoir discuté les étapes et les difficultés. Le processus ne doit pas être imposé d’en haut, mais être construit par ses acteurs (ou au moins avec eux). Il peut être utile de recueillir les avis des acteurs (par interview, par sondage…) pour mesurer leur adhésion, déterminer les points sur lesquels tout le monde s’accorde et ceux qui divisent. La documentation de ces derniers servira lors de la généralisation. Une ligne de temps réaliste doit être discutée, et le rôle de chacun clairement énoncé et délimité. Cette étape est d’autant plus facile à réaliser que le contexte de l’organisation s’y prête (travail en amont sur une culture de l’apprentissage et de la sécurité).
Disposer de moyens humains suffisants
Les acteurs sont la principale clé du succès : un travail collaboratif, en particulier entre les cadres et les cliniciens, facilite l’implémentation d’un projet. Les qualités de leadership et de communication doivent exister ou être apprises, surtout par les médecins (elles font partie de ce que l’on regroupe sous le terme de « non technical skills »). Mais il faut prendre en compte les priorités de chacun des acteurs pour agir de manière coordonnée et dans le consensus. Cette détermination des priorités fait partie du point précédent.
Disposer de moyens suffisants : aspects contextuels
L’environnement doit être connu, les obstacles délimités et les alliés reconnus. La situation peut évoluer dans le temps, des résistances apparaître là où elles n’avaient pas été identifiées. Leurs origines peuvent être politiques ou culturelles. Rappelons à ce propos la complexité de l’imbrication de hiérarchies différentes dans le monde hospitalier. Elles doivent recevoir une réponse et être surmontées. Une organisation travaillant en équipe, si possible pluridisciplinaire, est mieux armée, travail d’équipe et culture de sécurité doivent être privilégiés. Les caractéristiques du microsystème ne doivent faire oublier ni le cadre politique et socioculturel ni les effets liés à la taille de l’organisation dans son ensemble.
Le type d’implémentation
Le choix du type d’implémentation (check-list, recommandations, changement culturel) est guidé par le but poursuivi. Il est idéalement un choix collectif. Il n’est pas forcément définitif : il faut fixer tôt les moyens de mesurer ses effets par rapport à l’objectif recherché.
Économiser les ressources
La meilleure initiative est celle qui ne nécessite pas de ressources nouvelles et qui s’inscrit dans le cadre existant sans créer de conflit. Les initiatives qui n’augmentent pas la charge de travail ont plus de chances d’être bien accueillies. Cette charge est ressentie différemment selon la satisfaction au travail, les attitudes et les visions partagées. La présence d’un « champion », un meneur charismatique, peut être déterminante. Les ressources principales nécessaires sont de l’argent (un budget) et du temps. On investit plus facilement si on est sûr de gagner du temps, mais le temps disponible est aussi un facteur limitant : il est dangereux de mal l’évaluer.
Prévoir un soutien
La présence de ressources en « support » (leader d’opinion, gestionnaire de changement) peut être déterminante. Les champions sont plus adéquats dans les projets plus techniques que comportementaux.
Assurer la pérennité du projet
Le projet doit pouvoir être conduit à son terme : cela nécessite des efforts soutenus dans le temps, qui doivent être planifiés, de même que la généralisation de projets menés au niveau du microsystème. Là aussi, l’existence de moyens de mesurer les progrès est importante (Tableau II).
Influence du contexte
Nous disposons de peu de revues systématiques traitant du contexte si on excepte celle de Kaplan [20], qui comporte une limitation certaine : elle élimine toutes les publications n’utilisant pas d’argumentation statistique, donc en particulier toutes les publications « qualitatives ». Les conclusions font la part des choses entre le niveau micro (là où l’implémentation se déroule) et le niveau macro (l’hôpital). Les facteurs de succès décrits permettent difficilement d’établir des critères : retenons le leadership de la direction et de l’équipe qualité, la motivation pour le changement, la disponibilité des ressources (humaines, financières…), et la structure intégrative de l’hôpital (seule cette dernière peut être évaluée, à l’aune de la collaboration multidisciplinaire ou de l’implication des médecins par exemple). Bate réalise une étude ethnographique sur/d’une dizaine de programmes d’amélioration de la qualité en Europe et aux États-Unis, et en tire six facteurs de succès individualisables et déclinables aux niveaux micro et macro [21] (Tableau III). Il est préconisé de réaliser une étude de type SWOT2 pour évaluer les moyens organisationnels que l’institution doit mobiliser. Cette étude se base sur trois niveaux : le « monde extérieur » à l’organisation, l’étage macro (l’organisation elle-même, généralement l’hôpital) et, si c’est pertinent, l’étage micro (le service ou le département où a lieu l’implémentation du projet). Elle envisage idéalement les six dimensions du modèle de Bate.
Communication
La communication auprès du personnel, des instances, voire de l’extérieur, reprendra utilement les éléments du modèle SQUIRE (Standards for quality improvement reporting excellence), dont certains semblent pertinents [22] (Tableau IV), en particulier si la méthode sélectionnée est qualitative [5]. On pourra notamment justifier le choix de la méthode qualitative plutôt que quantitative en fonction du but poursuivi, expliquer comment la sélection de la méthode découle de la question à laquelle on veut répondre (les méthodes sont différentes selon la question : quoi ? comment ? pourquoi ?), également justifier le choix de la stratégie d’échantillonnage s’il y a lieu (un point souvent négligé dans les articles qualitatifs), et commenter la rigueur de l’analyse, sa fiabilité et son exactitude (envisager des hypothèses alternatives pour mieux les repousser, solliciter des avis d’experts pour triangulation).
Un essai de ligne du temps
Préalable
Les conseils qui suivent sont émis du bout des lèvres. Ils sont effectivement basés sur les conclusions de revues systématiques quand elles existent, mais ils ferment les yeux sur le fait qu’ils ont pour origine la gestion d’un monde industriel à cent lieues de la complexité du monde hospitalier [23]. Certaines étapes sont essentielles, mais elles ne se répéteront pas forcément pour chaque projet : la connaissance du contexte dans lequel vous évoluez est capitale et guidera vos choix. La suggestion de réaliser une étude SWOT basée sur les six axes du contexte selon Bate est un outil qui sera déployé une fois, puis mis à jour sans plus nécessiter un très gros effort. À vous de choisir si vous travaillez à un niveau très « micro » (la gestion de la prescription des médicaments analgésiques au service de soins intensifs), ou très macro (la gestion des médicaments à haut risque dans l’hôpital). Ce niveau macro est souvent l’aboutissement du projet. Dans la version classique de la politique d’amélioration, les cycles d’amélioration commencent à un niveau micro et se généralisent peu à peu. À vous également de choisir si vous partez d’un seul service pour étendre ensuite l’emprise géographique, si vous partez d’un élément du processus pour l’étendre à tout le processus, ou si vous faites un mélange des deux. La qualité de votre PDSA dépendra toutefois de l’enchaînement de plusieurs cycles, avec à chaque fois une phase d’évaluation des résultats. Si vous cherchez des cycles courts et une complexification progressive pour éviter de mettre vos patients en danger, ne voyez pas trop grand au départ. Comptez sur l’expertise d’un service motivé, sur une procédure ou un élément de procédure qui recueille l’adhésion des acteurs, mais veillez à mettre d’emblée en place tout ce qui sera nécessaire à la généralisation progressive de votre projet, en particulier tout ce qui sera nécessaire pour communiquer et pour convaincre. Apprenez à travailler « comme si » vous aviez le but de publier. Faites l’inventaire des arguments qui vous motivent, faites un état des lieux (bibliographie, expériences d’autres institutions…), et rappelez-vous que les arguments les plus convaincants sont les « preuves » qualitatives ou quantitatives du changement que vous voulez induire. Acceptez l’idée qu’un projet d’amélioration ne ressemblera que rarement au fleuve tranquille du schéma classique de l’assurance qualité (Figure 1). Il ressemblera plus volontiers à un écheveau complexe, où des cycles avorteront (mais demandez-vous pourquoi, et tirez-en des enseignements) tandis que d’autres progresseront plus vite que leurs voisins, de sorte que ce n’est que rarement le projet dans son ensemble qui en est au Plan, au Do ou au Study, mais chacun des composants (procédure ou service) [24] (Figure 2).
Plan/Planifier
Choisissez vos indicateurs et précisez quels changements vous attendez (quantitatif ou qualitatif). Assurez-vous de l’adhésion de vos acteurs. Faites-les participer à votre projet, recueillez leurs avis et suivez l’évolution de leur adhésion dans le temps. Prévoyez un programme de support des acteurs, de sorte qu’ils restent au courant de l’évolution du projet auquel ils participent. La publication régulière de l’évolution des indicateurs est un bon moyen de motivation. L’existence de « champions » est une aide précieuse, les motiver dans le temps est une nécessité. Soyez sûr que vos ressources sont adaptées à l’ampleur de votre projet. Cela recouvre les moyens financiers éventuels, la disponibilité en temps et en compétences, et une logistique appropriée. Soyez clair sur les questions que vous voulez résoudre, fixez-vous des objectifs que vous pouvez atteindre. Commencez petit, et ne faites pas prendre de risques à vos patients. Obtenez l’avis et le support de votre comité d’éthique sur ce point : il peut vous aider.
Do/Faire
La mise en œuvre est de votre totale compétence.
Study/Étudier
Répétez la mesure de vos indicateurs le plus fréquemment possible. L’évolution de vos mesures permettra, espérons-le, de dégager une tendance, qui apportera des arguments probants sur le fait que le changement n’est pas dû au hasard, même si votre projet ne se prête pas à une analyse statistique. Si votre étude s’y prête, utilisez l’outil statistique. Sinon, pensez à mettre en œuvre tout ce qui améliore la fiabilité de vos résultats, et réunissez les arguments qui démontrent vos efforts. Établissez clairement que les changements mesurés vont dans le sens prévu, et sont liés à l’évolution de votre projet. Soyez critique et honnête surtout si ce n’était pas le cas, et tirez profit des résultats décevants ou inattendus, en cherchant des explications alternatives.
Act/Agir
Tirez les leçons de vos réussites et de vos échecs, cherchez-en les causes. Appuyez-vous sur le plan de soutien des motivations mis en place dès la phase Plan pour rebondir sur un nouveau cycle, qui soit plus « macro » que le précédent. Ne laissez pas les motivations se diluer. Introduisez des structures ou des procédures de « support » pour assurer la pérennité de vos progrès.
Un modèle à bousculer ?
Il est important de souligner que confier la construction de l’action d’amélioration au responsable de la sécurité repose sur un malentendu : ce dernier est en effet expert en gestion de la sécurité, mais pas forcément dans le domaine des soins et de tout ce qui concerne le patient. Les experts sont ailleurs, et c’est à eux de s’exprimer et à eux de prendre leurs responsabilités dans la conception et dans le contenu du projet. De plus, la mise en place d’une action d’amélioration demande des ressources, ne fût-ce que du temps de travail, et nécessite des collaborations qui ne sont pas toutes spontanément offertes : un minimum d’autorité est nécessaire, et les choses sont d’autant plus faciles que le responsable de la sécurité occupe dans l’organigramme autre chose qu’une fonction transversale et qu’il a acquis une solide formation en gestion de projet, même si la complexité des situations qu’il rencontre sapera vite ses convictions théoriques. Si tel n’est pas le cas, accepter la responsabilité de la mise en place des actions d’amélioration exige soit de solides garanties, soit une grande confiance dans la collaboration de sa hiérarchie. Les études portant sur les changements dans les organisations sont globalement désespérantes : jusqu’à 70% des initiatives d’amélioration se soldent par des échecs [25,26], et les efforts visant à infléchir les cultures n’atteignent que 10% de succès [27]. Le monde des soins a des caractéristiques propres, qui influencent le spectre des réussites et des échecs mais n’en modifient pas fondamentalement la fréquence. Les études en santé se penchent surtout sur ce qui a changé bien plus que sur le comment et le pourquoi de ce changement [26]. Malgré de louables efforts, la conformité de la réalisation des cycles PDSA aux définitions de la méthode reste décevante, même si elle est susceptible de s’améliorer [28]. Il conviendrait peut-être de s’interroger sur l’importance du respect de la lettre d’une méthodologie de type PDSA. Outre que ce respect tient plus du rêve que de la réalité, il n’apparaît pas dans les facteurs qui assurent le mieux le résultat à long terme d’un changement à l’échelle de l’hôpital, qui est bien plus conditionné par les qualités des intervenants, de l’équipe qu’ils constituent et du leadership qu’ils assument. Ces conditions organisationnelles s’avèrent bien plus déterminantes que le respect inconditionnel de « méthodes » héritées de domaines bien différents de celui des soins [29]. L’accent mis sur la méthode davantage que sur l’objectif est source d’anxiété pour l’équipe et est susceptible d’inhiber les enthousiasmes. Créer le mouvement est parfois plus productif que créer et faire respecter des structures, surtout quand on gère des projets de changement à ce point complexes qu’il devient illusoire d’isoler un par un les paramètres ou les cibles des changements [30].
Notes :
1- Respectivement planifier-faire-étudier-agir et planifier-faire-vérifier-agir.
2- Matrice strengths, weaknesses, opportunities, threats : forces, faiblesses, opportunités et menaces.