10 janvier 2024

Les biais cognitifs peuvent fausser la recherche des causes profondes

Introduction. Incident investigation is a foundational tool of safety management. Determining the causal factors of any incident underpins organizational learning and subsequent positive change to processes and practices. Research of incident investigation has largely focused on what information to collect, how to analyze it, and how to optimize resultant conclusions and organizational learning. However, much less attention has been paid to the process of information collection, and specifically that of subjective information obtained through interviews. Yet, as all humans are biased and can’t help being so, the information collection process is inevitably vulnerable to bias. Method. Simulated investigation interviews with 34 experienced investigators were conducted within the construction industry. Results. Common biases were revealed including confirmation bias, anchoring bias, and fundamental attribution error. Analysis was also able to unpack when and how these biases most often emerged in the interview process, and the potential consequences for organizational learning. Conclusions. Being biased to a certain degree will remain inevitable for any individual, and therefore, efforts to mitigate the effects of biases is necessary. Practical applications. Increased awareness and insights can support the development of processes and training for investigators to mitigate its effects and thus enhance learning from incidents in the field prevent reoccurrence.

Commentaire du Dr Marius Laurent (PAQS)

  • L’article se penche sur les premières étapes de la recherche des causes profondes (RCA), celles où on réunit les informations. Il parle bien sûr du monde de la construction, mais il s’applique aussi bien à celui des soins de santé. La collecte de ces informations s’étend de la visite des lieux, de la récolte de la documentation existante, aux interviews des personnes impliquées ou des témoins. Elle se déroule sous le parapluie d’une injonction très générale de faire la part des choses entre les faits et les opinions. Est-ce suffisant ?
  • Les auteurs se penchent sur la détection et la maîtrise des biais cognitifs. Ce problème a été étudié en profondeur pour expliquer par exemple le cas particulier des erreurs de diagnostic. Contrairement à ce que pensent ou souhaitent beaucoup de théoriciens, le processus diagnostique est rarement un processus rationnel et réfléchi, où l’on dresserait une liste de diagnostics différentiels à partir de l’histoire du malade et de son examen, que l’on rangerait dans un ordre logique en fonction de leur probabilité (raisonnement bayésien), ou de leur utilité (théorie des jeux). L’expérience montre que les premières hypothèses diagnostiques sont émises dans les premières minutes de la rencontre, et parfois avant même celle-ci (par exemple après le contact avec l’infirmière qui a accueilli le patient), et sont guidées par ce que Kahneman appelle des heuristiques, ce que nous nommerions des « intuitions » : il parle du système 1 de la pensée. Ce n’est que si ces premières hypothèses résistent à la confirmation que nous mettrons en route le processus de réflexion rationnelle, bien plus pénible, qu’il appelle le système 2. Le problème du système 1 est qu’il est automatique : nous n’en avons pas le contrôle, et il est sujet à ce qu’on nomme les biais cognitifs [1]. Le processus de recherche des causes d’un accident est proche du processus diagnostique, et nos intuitions peuvent nous mener à favoriser des hypothèses parce qu’elles nous plaisent, et non parce qu’elles sont plus vraisemblables. L’article énumère les biais les plus fréquents et plaide pour l’hypothèse optimiste que former les enquêteurs à l’existence de ces biais va les protéger contre les effets de ces derniers. Cette hypothèse n’a pas vraiment pu être confirmée dans le cas du diagnostic, et il n’y a pas de raison de croire qu’il en sera autrement dans celui de la recherche des causes profondes. Rappelons-nous l’opinion de Berwick : ce n’est pas en exhortant les opérateurs à penser et à agir mieux que nous allons améliorer le fonctionnement du « système », mais en nous attaquant à sa conception même [2]. La meilleure manière de se défendre des biais cognitifs est sans doute de se faire « monitorer » par un observateur neutre aux moments clés de nos investigations : la RCA, comme le diagnostic, est un sport d’équipe.

Thallapureddy S, Sherratt F, Bhandari S, et al. Exploring bias in incident investigations: An empirical examination using construction case studies. J Safety Res 2023;86:336-345.
Doi : 10.1016/j.jsr.2023.07.012.

Références

1- Tversky A, Kahneman D. Judgment under uncertainty: Heuristics and biases. Science 1974;185(4157):1124-1131.
2- Berwick DM. Not again! Preventing errors lies in redesign—not exhortation. Br Med J 2001;322(7281):247-248.