Édito | Pour une révision des indicateurs de pilotage de la qualité des soins, de la sécurité des patients et de l’expérience patient

philippe michel

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Commission qualité de la Conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers universitaires (CHU) – Poitiers – France | Directeur Qualité usagers et santé populationnelle – Hospices civils de Lyon – Lyon – France
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virginie luce-garnier

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Directrice générale – Présidente de la commission Qualité – CHU de Poitiers – Poitiers – France | Directrice de projet – Value based healthcare – Direction Qualité partenariat patient – AP-HP – Paris – France
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jean petit

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Commission qualité de la Conférence des directeurs généraux de CHU – Poitiers – France
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anne costa

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Commission qualité de la Conférence des directeurs généraux de CHU – Poitiers – France | Directrice générale – Présidente de la commission Qualité – CHU de Poitiers – Poitiers – France
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Le système de soin en France affronte une crise sans précédent, que les professionnels de santé, quels que soient leur profession et secteur d’activité, vivent au quotidien. Cette crise est inédite parce qu’elle est systémique : évolutions populationnelles (vieillissement de la population, place du handicap, augmentation de la précarité), démographie médicale, répartition géographique de l’offre de soin, crise des ressources humaines (vocations, attractivité et fidélisation), transformation des compétences attendues des professionnels de santé exerçant dans le secteur sanitaire, médico-social et social, augmentation des situations sanitaires exceptionnelles et des crises, refonte en cours du système de financement…

Une des solutions pour faire face à cette complexité croissante consiste à recentrer l’action des professionnels de santé sur leur cœur de métier : l’amélioration de l’expérience patient, la qualité et la sécurité du soin prodigué au patient. Ce sont des objectifs premiers qui les animent et ils sont porteurs de sens pour tous. Ces valeurs ne sont pas une simple variable d’ajustement, utilisable le temps de régler les autres problèmes sur le devant de la scène médiatique, mais au contraire la boussole qui permet de déterminer si les mesures prises vont dans la bonne direction.

La commission Qualité de la Conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers universitaires (CHU) participe à la réflexion des CHU sur la nécessaire mutation de notre système de soin. En premier lieu, il convient de rappeler que nos établissements remplissent un objectif de santé publique : l’amélioration de l’état de santé de la population qu’ils desservent. En tant que centres hospitaliers universitaires, outre l’enseignement et la recherche, notre mission dans ce domaine est de prévenir, soigner et, si possible, guérir des personnes malades. Ce rappel souligne l’impératif et l’ambition d’une approche populationnelle de la qualité des soins, de la sécurité des patients et de l’amélioration de l’expérience patient.

Parmi les chantiers de cette commission, le partage d’expérience et la réflexion collective sur l’évolution souhaitable des indicateurs font l’objet d’un groupe de travail. Quel regard portons-nous sur les indicateurs de qualité et sécurité des soins (IQSS) actuellement en France ? Nous fondons notre réflexion sur le résultat d’ateliers organisés par ce collectif lors d’une plénière de la commission en mai 2023, dans lesquels étaient représentés la quasi-totalité des CHU. En voici les éléments saillants.

En premier lieu, l’amélioration continue et la conduite du changement se construisent essentiellement à l’échelle des équipes de professionnels de santé, de l’unité fonctionnelle ou du service. La mesure ne sera donc efficiente qu’avec des résultats mesurés à l’échelle d’une unité de soin et restitués dans un délai raisonnable. À l’inverse les indicateurs portant sur l’établissement sont peu utiles aux équipes cliniques qui sont démunies en termes d’incitation à agir et d’identification de marges d’amélioration au niveau de l’établissement. C’est le cas de la plupart des IQSS et des indicateurs du Contrat d’amélioration de la qualité et de l’efficience des soins (CAQES) dont la granularité est insuffisante pour permettre un suivi par unité de soin.

L’évolution rapide du contexte, des organisations et des pratiques rend certains indicateurs obsolètes avant même leur diffusion. Les indicateurs fondés sur la revue des dossiers sont calculés sur l’année N-1 et utilisés pendant 18 mois pour les indicateurs collectés annuellement, voire 30 mois pour ceux dont la mesure est bisannuelle ! Du fait de l’existence de recueils internes aux CHU, réalisés sur des dossiers récents et à périodicité plus courte, la mesure des campagnes IQSS est souvent déconnectée de la démarche d’amélioration de ces établissements et réalisée par les équipes qualité parfois sans même associer les équipes de soins concernées et leur transmettre les résultats : l’objectif principal initial ayant concouru à la mise en œuvre des IQSS dans les années 2000 - l’incitation à l’amélioration interne - n’existe plus. Nous proposons de recentrer ce type d’IQSS sur la lettre de liaison, la prise en charge somatique en psychiatrie qui prend tout son sens dans le contexte d’explosion des pathologies psychiatrique, ainsi que l’évaluation de la douleur, en incitant à l’automatisation de leur mesure en travaillant avec les éditeurs de dossiers informatisés. Conscients des obstacles existants à ce jour, nous suggérons de plus de travailler à une accélération du calendrier pour mettre en place la collecte au cours du dernier semestre d’une année, réalisée sur des dossiers du premier semestre de l’année, et diffuser les résultats consolidés au début du semestre de l’année N+1.

L’appropriation des IQSS par les équipes et la pertinence de comparer les établissements est conditionnée par la rigueur de leur méthodologie de calcul et leur validation scientifique, ce qui est garanti par la Haute Autorité de santé. Nous constatons que les équipes cliniques montrent peu d’intérêt pour le volet quantitatif des résultats d’e-Satis, dont les items sont trop généraux et souvent hors de leur portée (alors que l’information des verbatims est considérée comme utile, bien que trop lourde à analyser pour les établissements qui le font eux-mêmes).

L’acceptabilité par les équipes d’indicateurs pose question, comme la traçabilité des bonnes pratiques de précautions complémentaires contact, perçue comme une tâche « administrative » non nécessaire alors que l’information est en général effective.

L’existence de données probantes pour la sécurité des patients n’est à l’inverse pas associée à la mise en œuvre d’indicateurs. Par exemple, la réalisation effective de la check-list au bloc opératoire pourrait faire l’objet d’un indicateur, s’il ne se limite pas à la traçabilité de la complétude qui n’est pas un garant de sa bonne réalisation.

Le propos n’est pas ici de dresser une liste exhaustive d’indicateurs de processus qu’il faudrait abandonner ou ajouter, mais de susciter la réflexion autour de la relecture des référentiels, afin de recentrer les outils de mesure sur leur utilité pour un pilotage au plus proche des équipes de terrain, en leur donnant les moyens de s’en emparer.

Nous le savons, les IQSS doivent être concrets, facilement mesurables et automatisables à l’échelle d’une unité ou d’un parcours de soins, leur nombre doit être restreint, et leur analyse doit être croisée avec des indicateurs de ressources humaines, de qualité de vie au travail ou d’activité. Nous plaidons pour une bascule plus rapide des IQSS vers des indicateurs de processus visant l’expérience patient, la pertinence et l’optimisation des parcours, et surtout vers les indicateurs en émergence de résultats du point de vue des patients (Patient reported outcome measures [PROMs]) et des cliniciens (Clinical reported outcome measures [CROMs]).